Il y a bientôt trente ans, Alain Minc évoquait le “cercle du réel et du possible” établissant un mur entre le débat raisonné sur les recettes néolibérales et l’irrationalité des populistes.

L’idée du “cercle de la raison” était née lors des travaux de la Commission sur la France de l’an 2000 et, à l’époque, personne n’aurait pu imaginer qu’un membre de l’oligarchie naissante quitte la société des gens raisonnables pour se répandre en outrances verbales. Recruté et promu par Jacques Attali, Emmanuel Macron offrait toutes les garanties nécessaires à la promotion des intérêts dominants. Pourtant, il se maintient en scène par un jeu déconcertant – tantôt comme technicien halluciné de la disruption, tantôt comme classique technocrate néolibéral.

Au Salon de l’Agriculture, le 24 février, Emmanuel Macron revêt, sous les huées, les habits de l’expert des vaches, cochons et prix planchers et relègue le ministre chargé de l’Agriculture au rôle de directeur de cabinet. Deux jours plus tard, il prend en main les portefeuilles des Affaires étrangères et de la Défense pour évoquer un appui à l’Ukraine par l’envoi de troupes au sol. Cette déclaration intempestive fait songer – tout comme celles d’octobre sur le Hamas – à la manière dont les présidents populistes font soudain turbuler le système politique ou les relations internationales. Emmanuel Macron n’a pas le profil d’un Bolsonaro ou du Trump de la première époque, mais il partage avec eux le même mépris des institutions politiques et administratives, la même indifférence grossière à l’égard des usages internationaux.

L’homme qui a diffusé l’un de ses entretiens téléphoniques avec Vladimir Poutine a lancé l’idée des “troupes au sol” de manière parfaitement irresponsable. Il aurait fallu sonder par voie diplomatique Washington, l’Otan et les principales capitales européennes puis, en cas de réponse favorable, appuyer l’engagement militaire évoqué par l’annonce d’un renforcement considérable de nos personnels et de nos équipements, préparer l’économie française et l’opinion publique à un long effort et à de dures épreuves, ce qui supposait l’ouverture d’un débat au Parlement et la possibilité de contester ou de récuser la stratégie envisagée.

Nous avons au contraire vécu une semaine chaotique. Chaos des commentaires médiatiques, où le concert des boutefeux couvrait les supputations sur la communication élyséenne : s’agissait-il d’un message à la Russie, d’une prophétie guerrière ou de l’auto-promotion électorale d’un “chef de guerre” rassemblant les siens contre les “agents de Moscou” groupés autour de Jordan Bardella ? Chaos, surtout, des déclarations officielles françaises face à la réaction de Washington, Berlin, Londres, Varsovie… réaffirmant qu’il n’était nullement question d’envoyer des troupes au sol. Cette pluie de désaveux n’a pas empêché Emmanuel Macron de répéter que l’envoi de troupes ne saurait être exclu “en dynamique”, de demander aux alliés de l’Ukraine de “ne pas être lâches” tout en précisant qu’ils n’étaient “pas en guerre avec le peuple russe” avant de concéder que l’envoi de troupes “n’est pas du tout d’actualité pour l’instant”. Le ministre de la Défense a clos la séquence le 8 mars en déclarant qu’il n’était pas “question d’envoyer des troupes combattantes” sur le sol ukrainien.

Si l’Elysée cherchait à intimider le gouvernement russe, c’est raté. Les pays occidentaux ont affiché leur désunion, Paris s’est une fois de plus ridiculisé aux yeux du monde entier et le Rassemblement national n’a pas reculé dans les intentions de vote. Ce n’est pas la promesse d’une aide de trois milliards à Kiev qui permettra de sauver les apparences : nul n’ignore que les chiffres de l’aide financière française sont enjolivés depuis deux ans et que nous ne sommes pas en mesure de livrer trois milliards de matériel militaire. D’ailleurs, nous avons appris au cours de cette semaine chaotique que le plan d’économies de dix milliards présenté par Bruno Le Maire sera complété par 20 milliards de restrictions supplémentaires qui frapperont le prochain budget et très probablement les crédits militaires. Et c’est ainsi qu’on voudrait faire la guerre ?

Une fois de plus, on s’enivre de mots pour oublier les vérités qui fâchent. Les sanctions contre la Russie ont échoué – le taux de croissance du pays s’établira entre 3 et 4% pour 2023. Ni Paris, ni l’Union européenne ne sont capables de fournir les munitions et de renouveler le matériel militaire dont Kiev a besoin – et une guerre généralisée en Europe placerait les armées française et britannique dans une situation intenable. Comme d’habitude, on compte sur les Etats-Unis. Or la presse et les instituts américains exposent depuis longtemps les scénarios d’une sortie de crise. Et le théâtre ukrainien compte beaucoup moins, pour le gouvernement des Etats-Unis, que Taiwan et le Proche-Orient.

Battant et rebattant les cartes de l’impuissance, Emmanuel Macron se jette de temps à autre dans le cercle de la déraison, comme si ses rodomontades pouvaient changer le jeu diplomatique et militaire. A chaque échappée, la France perd de son crédit.

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Editorial du numéro 1274 de « Royaliste » – 11 mars 2024

 

 

 

 

 

 

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1 Commentaire

  1. RR

    M. Macron cherche à nous entrainer dans un conflit qui n’est en aucune façon le notre. En effet recruté et promu par Jacques Attali, il est là pour défendre les intérêts des oligarchies mondialistes. Ces dernières sont liées les unes aux autres. Ce n’est pas l’Ukrainien de la rue que l’on défend, mais les oligarques locaux en place dont les positions sont mises en danger par l’intervention russe.