Depuis sa saisine sur la réforme des retraites, le Conseil constitutionnel est au centre de l’actualité. Les décisions rendues le 15 avril vont l’y maintenir. Le refus d’une censure complète de la loi et le rejet de la première demande de référendum d’initiative partagée ouvrent le débat trop longtemps retardé sur le fonctionnement du Conseil constitutionnel et sur la manière dont ses membres accomplissent leur mission.

Dans les médias, la critique des “sages de la rue de Montpensier” suscite immédiatement des réactions indignées. Mettre en doute la sagesse du Conseil, c’est jeter le discrédit sur une institution de la République, c’est mettre en péril l’Etat de droit ! En toute mauvaise foi, on confond le rejet d’une institution et la dénonciation d’une dérive.

Tel qu’il a été institué pour la première fois dans notre histoire par la Constitution de la Ve République, le contrôle de constitutionnalité est indispensable pour éviter les débordements du Parlement – tel est le souci des constituants en 1958 – et les empiétements du pouvoir exécutif (1). Ce fut une révolution : la loi, “expression de la Volonté générale” était désormais subordonnée à la légalité supérieure de la Constitution. Ce contrôle de constitutionnalité trouva sa pleine affirmation en juillet 1971 lorsque le Conseil constitutionnel décida de donner pleine force juridique au Préambule de la Constitution de 1958 ainsi formulé : “Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946”.

Cette décision s’inscrivait dans la logique gaullienne : Gaston Palewski, qui était président du Conseil constitutionnel, avait évoqué une extension des pouvoirs du Conseil avec le président de la République : le général de Gaulle avait approuvé cette évolution mais se réservait la possibilité de la soumettre à référendum. Les modalités du contrôle de constitutionnalité ont donné lieu à maints débats mais il est certain que l’Etat de droit a été renforcé par le principe du contrôle et par la reconnaissance du corps de principes sacrés, qui sont le fruit de la Révolution de 1789 et de cette autre révolution qui fut accomplie par la France libre et après la Libération.

Longtemps, le Conseil constitutionnel fut entouré d’un respect dû à la fonction médiatrice qu’il était censé exercer. J’ai partagé ce sentiment, estimant comme tant d’autres que cette institution avait peut-être la possibilité d’échapper à la dérive oligarchique, malgré les complaisances, les oublis et les prudences excessives dont les “sages” donnaient tant de preuves. Il n’est plus possible de fermer les yeux. L’enquête menée par Lauréline Fontaine (2) démontre que le Conseil constitutionnel n’est pas un contre-pouvoir mais un organe de l’oligarchie, attaché à la défense de ce que Roosevelt appelait “l’argent organisé”. Avant de donner une analyse approfondie du livre, je veux en souligner quelques points.

Le Conseil constitutionnel est composé de neuf membres qui appartiennent tous à la classe politique, où ils ont tenu des rôles de premier ou de second plan. Les prétendus “sages” sont juges et parties puisqu’ils ont souvent défendu des textes qui sont examinés par le Conseil constitutionnel. Ainsi Alain Juppé qui a présenté un projet de réforme des retraites en 1995. Ce projet fut partiellement retiré sous la pression du mouvement social mais il s’est traduit par les lois de financement de la Sécurité sociale qui ont été abusivement utilisées pour imposer la réforme de cette année.

Les membres du Conseil constitutionnel ont donné maintes preuves de leurs complaisances pour les grands intérêts privés et Jean-Louis Debré a même raconté qu’il déjeunait régulièrement avec le président du Medef. Dès lors, il n’est pas surprenant – mais tout à fait scandaleux – que le Conseil constitutionnel invoque dans ses décisions le “principe” de la liberté d’entreprise, qui ne figure pas dans le bloc de constitutionnalité.

Cette osmose avec la gouvernance oligarchique et les milieux d’affaires conduit le Conseil constitutionnel à oublier les principes qu’il a lui-même proclamés. Les prétendus “sages”, qui n’ont jamais fait référence à la République sociale qui est inscrite à l’article premier de la Constitution, ignorent résolument le Préambule de 1946.

C’est de l’oubli et du mépris de nos principes fondamentaux que résulte la décision du 14 avril, qui entérine un insoutenable détournement de procédure. Comme le dit Alain Supiot, le Conseil constitutionnel est devenu une “anomalie démocratique”. Cette anomalie doit être supprimée pour que le contrôle de constitutionnalité soit assuré par des juristes indépendants, impartiaux et intègres.

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1/ Cf. Léo Hamon, Les juges de la loi, Naissance et rôle d’un contre-pouvoir : le Conseil constitutionnel, Fayard, 1987.

2/ Lauréline Fontaine, La Constitution maltraitée, Anatomie du Conseil constitutionnel, Préface d’Alain Supiot, Editions Amsterdam, février 2023.

En introduction au livre, on peut lire les articles publiés par l’auteur, notamment dans Le Monde (29 mars), Le Monde diplomatique (avril 2023), Le grand continent (14 avril 2023).

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1 Commentaire

  1. 23thdBrigade

    Dans une récente vidéo, François Asselineau revient également sur l’histoire du Conseil Constitutionnel .

    Il rappelle également les propositions de réforme de cette institution qu’il avait faites il y a quelques années déjà.

    Je trouve dommage que vous n’ayez pas trouvé moyen de l’indiquer et de le commenter . ( Je m’y colle donc : https://www.upr.fr/actualite/macron-declare-la-guerre-aux-moins-de-64-ans/ )

    Par ailleurs, vous citez l’article de Lauréline Fontaine dans le Monde Diplomatique. Je vous en remercie : je le relirai.

    [J’en profite tout de même pour signaler, que dans ce même numéro d’avril, le Monde Diplo a fait ce qu’aucun grand titre de presse français n’a fait : consacrer une double page intérieure, appelée par un titre accrocheur en 1ére, sur l’exposé de critiques des politiques anticovid gouvernementales. C’est fait à la façon du Diplo, un peu chattemite, mais tout de même c’est assez unique dans le paysage francophone]