Le parti des Politiques et l’avènement de l’Etat moderne (3) – Chronique 171

Août 20, 2022 | Res Publica

 

Il faut faire la guerre en vue de la paix. La conviction exprimée par Michel de l’Hospital est partagée par Catherine de Médicis (1). L’insurrection protestante qui suit le massacre de Wassy exige la mobilisation de l’armée royale. Après l’échec des négociations avec le prince de Condé, la reine-mère se résigne à la guerre, menée sous l’égide des Guises avec le soutien financier de Rome et l’aide militaire de l’Espagne mais elle parvient à conclure la première guerre de religion (1562-1563) par l’édit d’Amboise. La politique d’apaisement est alors concrétisée par un long voyage de la reine-mère et du roi dans les provinces, du 13 mars 1564 au 30 avril 1566, mais l’œuvre de réunification échoue en raison des manœuvres protestantes qui aboutissent à la “surprise” manquée de Meaux.

Cette deuxième guerre (1567-1568) se termine par l’édit de Longjumeau du 23 mars 1568 qui confirme la paix d’Amboise mais qui n’arrête pas les violences commises par les deux camps. La troisième guerre, qui commence en août 1568, est menée par le pouvoir royal avec les subsides de Rome et de l’Eglise de France. Tout à sa volonté d’exterminer les hérétiques, le pape affecte d’oublier que Catherine de Médicis avait rejeté en 1564 les textes votés l’année précédente au concile de Trente parce qu’ils consacraient la puissance temporelle du pape et restituaient à l’Église des pouvoirs juridictionnels depuis longtemps exercés par l’autorité royale…

La troisième guerre est marquée par la mort du connétable Anne de Montmorency, tombé en 1567 à la bataille de Saint-Denis, par l’assassinat du prince de Condé (13 mars 1569) et par la défaite de son armée à Jarnac face au futur Henri III. Les opérations militaires se terminent grâce aux efforts de Catherine de Médicis et de Charles IX qui résistent aux vives pressions du pape, du roi d’Espagne et du cardinal de Lorraine, comme toujours partisans de la guerre à outrance. Signé le 8 août 1570, l’édit de Saint-Germain reconnaît aux réformés la liberté de conscience dans tout le royaume et leur accorde quatre places de sûreté tout en limitant l’exercice du culte – qui reste interdit à Paris.  Au cours des négociations, les représentants du roi et de l’amiral de Coligny s’étaient accordés sur un projet de mariage entre Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis, et le prince Henri de Navarre qui avait commencé sa vie de combattant en participant à la bataille d’Arnay-le-Duc (27 juin 1570) dans les rangs réformés.

Ce mariage faisait littéralement horreur au Souverain pontife, aux Espagnols et aux Guises puisqu’ils voyaient une figure majeure de l’hérésie renforcer ses liens avec le roi de France. Élément majeur de la politique étrangère du royaume, la stratégie matrimoniale ne s’embarrassait pas de considérations religieuses. En octobre 1570, deux chefs huguenots réfugiés en Angleterre présentèrent à Catherine de Médicis un projet d’union entre Elisabeth Ière et le duc d’Anjou, futur Henri III. Déclarée hérétique et bâtarde par le pape, la reine Elisabeth avait soutenu les huguenots français et divers contentieux diplomatiques demeuraient entre l’Angleterre et la France. Mais la reine Elisabeth était favorable à ce mariage que Catherine Médicis soutenait fermement car l’alliance avec l’Angleterre permettrait de faire contrepoids à la puissance espagnole. C’est le duc d’Anjou qui refusa en raison d’une aversion personnelle pour la reine d’Angleterre, tandis que Charles IX épousait en novembre 1570 Elisabeth d’Autriche, fille de l’empereur Maximilien II.

Au même moment, le Vatican et l’Espagne faisaient pression sur Charles IX pour qu’il s’engage dans une croisade contre l’Empire ottoman. Alliée de la Sublime Porte depuis François Ier, la France s’y refusa et ne joignit pas ses forces à celles qui détruisirent la flotte du Sultan à Lépante le 7 octobre 1571.

Soucieuse de préserver son alliance de revers avec les Ottomans, la monarchie française était préoccupée par la situation aux Pays-Bas (2). Saisissant l’occasion offerte par la paix de Longjumeau, Guillaume d’Orange, le Taciturne, avait demandé l’aide des huguenots français et ceux-ci, grâce à leurs troupes désormais disponibles, avaient accepté de participer à une offensive contre le duc d’Albe en compagnie de soldats envoyés par plusieurs États allemands. D’abord vainqueurs sur presque tous les fronts, les Espagnols subirent ensuite des revers au printemps 1572 : la prise de La Brielle par les Gueux de la mer (1er avril) incita Guillaume d’Orange à lancer un appel au soulèvement général des Pays-Bas. Avec le soutien discret de l’Angleterre, des princes allemands et du roi de France, Guillaume et son armée entrèrent aux Pays-Bas en juillet pour y célébrer la liberté de conscience et les droits de l’assemblée des Etats. Désigné comme stathouder par les Etats Généraux, le Taciturne comptait sur l’appui des protestants français pour la suite de ses opérations militaires…

Ces rappels historiques, qui simplifient à l’excès les trois premières guerres de Religion, permettent de comprendre comment se noue la tragédie du 24 août 1572. L’exaltation mystique des ultra-catholiques encouragés par la papauté et l’Espagne, les exactions sanglantes commises par les réformés puis les batailles rangées entretiennent des haines inexpiables. Dans un climat de défiance et de peur généralisées, la monarchie, confrontée aux divisions de la famille royale, de l’Eglise et de la noblesse et placée sous la dépendance du parti ultra-catholique, cherche à rétablir, par la ruse ou par la force, une unité que les extrémistes des deux camps cherchent à détruire. Après tant d’années de guerres et de trêves, Catherine de Médicis et Charles IX semblent avoir stabilisé la situation par la paix de Saint-Germain et par le projet de mariage entre Marguerite et Henri de Navarre. La liste des mensonges et des compromissions auxquels les détenteurs de la légitimité monarchique ont dû se livrer est longue. On aurait tort d’y voir des preuves du cynisme et de la violence des détenteurs du pouvoir royal. S’il arrive souvent que Catherine de Médicis et Charles IX se résignent à de cruelles nécessités, c’est au rebours de leurs convictions les plus profondes. Celles de chrétiens qui veulent défendre le catholicisme gallican, contre les protestants et les catholiques extrémistes. Celles de néoplatoniciens qui,  à l’opposé de Machiavel, cultivent l’idéal d’une politique de l’harmonie (3).

(à suivre)

***

(1) Denis Crouzet, Le haut cœur de Catherine de Médicis, Albin Michel, 2005.

(2) Blandine Kriegel, La République et le Prince moderne, PUF, 2011.

(3) Denis Crouzet, La nuit de la Saint-Barthélemy, Un rêve perdu de la Renaissance, Fayard, Pluriel, 2012.

 

Partagez

0 commentaires