Le parti des Politiques et l’avènement de l’État moderne (4) – Chronique 172

Août 21, 2022 | Res Publica

 

Dans la France déchirée comme jamais, le pouvoir royal reste inspiré par une philosophie qui mêle l’humanisme érasmien et le néoplatonisme. Ceci afin de mieux cultiver un idéal de tolérance religieuse et d’harmonie politique pour le service de l’Etat, qui participe du divin, et pour le peuple qui devrait être tout uniment chrétien.

Michel de l’Hospital, Catherine de Médicis et Charles IX restent fidèles à cet idéal, même quand ils ont recours à la force armée contre les huguenots. La guerre n’est jamais conçue comme le moyen d’éradiquer une hérésie mais comme la réaffirmation de l’autorité de l’Etat face aux séditieux qu’il faut réduire et non détruire. Les modalités pratiques des édits qui concluent provisoirement les guerres varient en fonction des rapports de force mais ils reposent tous sur le principe de la liberté de conscience, qui est l’une des conditions de la paix. Cette paix réalise l’unité d’un royaume qui ne cesse de chercher à rétablir sa pleine souveraineté à l’égard de toutes les puissances extérieures.

Une politique qui ne cesse de vouloir transcender les conflits religieux a-t-elle pu se retourner brutalement au cours de l’été 1572 en une volonté de massacre généralisé ? C’est d’autant moins vraisemblable que l’union de Marguerite de Valois et d’Henri de Navarre est l’événement qui symbolise la réconciliation des catholiques et des protestants.

Fruit de longues négociations, la cérémonie nuptiale se prépare en août dans une ambiance internationale très tendue. La guerre des Flandres en est la cause. Lors des premières négociations visant à terminer la troisième guerre de Religion, Catherine de Médicis avait rencontré le jeune frère du prince d’Orange, Louis de Nassau, influent auprès de la reine de Navarre qui n’appréciait guère le projet de mariage entre son fils et la princesse Marguerite. Louis de Nassau souhaitait que la France, l’Angleterre et les princes allemands interviennent conjointement aux Pays-Bas. L’idée de contrer l’Espagne avec une armée réunissant les catholiques et les protestants français était doublement séduisante. Catherine de Médicis jugea que l’exécution du plan était prématurée sans pour autant l’abandonner. Le roi et la reine mère en parlèrent à Gaspard de Coligny, qui avait été reçu à la Cour le 12 septembre 1571 puis invité à revenir au Conseil privé. L’amiral était bien entendu prêt à aider ses frères en religion.

Survient la bataille de Lépante, qui consacre le poids déterminant de l’Espagne. Catherine de Médicis semble alors juger qu’une offensive directe contre le duc d’Albe dans les Flandres serait trop risquée alors que Charles IX poursuit des discussions avec les Électeurs de Saxe et de Brandebourg et avec le duc de Brunswick. Désaccord entre le roi et sa mère ou jeu diplomatique concerté ? Le débat entre les historiens demeure sur ce point car la politique royale est tissée d’ambiguïtés qui permettent les supputations et manœuvres des Guises et de leur commanditaire espagnol, et qui favorisent toutes les hypothèses et pressions du parti protestant. En avril, le roi de France encourage les Gueux de Flandres et, en mai, Charles IX envoie François de La Noue, prestigieux chef de guerre huguenot, s’emparer de Mons en compagnie de Louis de Nassau. Par ambassadeur interposé, la reine mère maintient ses contacts avec Elisabeth d’Angleterre en vue d’une opération dans les Flandres tout en assurant le pape que la France ne veut pas la guerre. Devant le succès de la contre-offensive du duc d’Albe, Charles IX signifie clairement à l’amiral de Coligny, le 10 août, que le projet d’intervention dans les Flandres est abandonné.

Le mariage a lieu huit jours plus tard et, malgré l’excellence des intentions initiales, l’esprit général n’est pas à la réconciliation. Autour de Coligny, les huguenots sont furieux du repli tactique de Charles IX et, dans l’autre camp, les prédicateurs ultra-catholiques n’ont cessé de dénoncer l’union d’une catholique et d’un hérétique, en rappelant au roi qu’il doit avant tout purifier la France de ses hérétiques.

La cérémonie nuptiale est d’ailleurs étrange : Henri de Navarre, devenu roi depuis la mort de sa mère Jeanne d’Albret le 9 juin 1572, se marie sur un “grand échafaud” monté devant Notre-Dame et son épouse va ensuite entendre la messe dans la cathédrale tandis que le roi de Navarre se retire à l’évêché en compagnie des gentilshommes huguenots. Le pape Pie V et son successeur Grégoire XIII ont refusé d’accorder une dispense de consanguinité et l’on s’est contenté d’une dépêche de l’ambassadeur de France à Rome affirmant que le bref pontifical avait été envoyé. La foule catholique boude les cérémonies, de même que le Parlement de Paris devant lequel le roi a tenu un lit de justice le 16 août pour contrer la fronde qui s’est ouvertement déclarée le 14 juillet 1572, contre l’autorité royale et en réaction à l’aggravation de la pression fiscale (1). Les jours suivants, protestants et catholiques participent aux splendides fêtes données en l’honneur des jeunes époux (2). Le 22 août au matin, Coligny assiste très normalement au Conseil privé sans que l’on sache si l’amiral a renoncé à plaider en faveur d’une intervention française en Flandres ou s’il se prépare à porter secours au prince d’Orange…

C’est en revenant du Louvre vers sa demeure que Coligny, accompagné d’une quinzaine de gentilshommes, est blessé par un tir d’arquebuse. Soigné par Ambroise Paré et entouré par de nombreux amis, l’amiral fait prévenir le roi qui prend des mesures de sécurité et vient à son chevet. Par messagers, le roi avertit les gouverneurs de province que l’auteur du crime sera puni. Dans la capitale, les mesures d’ordre n’empêchent pas les rumeurs et les agitations mais un calme relatif règne encore quand vient la nuit.

L’amiral de Coligny est tué entre trois et cinq heures du matin, avant que ne sonne le tocsin qui déclenche le massacre des capitaines et des gentilshommes huguenots. Puis la tuerie se généralise… Gentilshommes catholiques et soldats frappent et pillent mais les extrémistes qui portent la croix sont habités par l’idée qu’ils exécutent le plan de Dieu, heureux de voir couler le sang des hérétiques. Appelant à une réplique du massacre à Bordeaux, un jésuite s’exclame : “Qui a exécuté le jugement de Dieu à Paris ? L’Ange de Dieu. Qui l’a exécuté à Orléans ? L’Ange de Dieu. Qui l’a exécuté en plusieurs villes de ce royaume ? L’Ange de Dieu. Qui l’exécutera en la ville de Bordeaux ? Ce sera l’Ange de Dieu” (3).

Le massacre mystique est aussi l’effet d’une conjonction de facteurs politiques.

(à suivre).

***

(1) Jean-Louis Bourgeon, La fronde parlementaire à la veille de la Saint-Barthélemy, In: Bibliothèque de l’Ecole des chartes. 1990, tome 148, livraison 1. pp. 17-89. https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1990_num_148_1_450570

(2) Denis Crouzet, La nuit de la Saint-Barthélemy, Un rêve perdu de la Renaissance, Fayard/Pluriel, 2012. Pages 355-371.

(3) Cité par Denis Crouzet, op.cit. p. 518.

 

 

Partagez

0 commentaires