La ronde des personnalités pressenties pour Matignon puis la désignation de Michel Barnier ont une fois de plus illustré l’obsession médiatique de la personnalité politique. Selon les critères de la “communication”, on se perd en bavardages sur les gestes, les bons mots, les signaux et autres messages de celui qui enlève sa cravate dans la cour de l’Elysée et de cet autre qui arrive seul, une main dans la poche. Or Gérald Darmanin, Bernard Cazeneuve, Xavier Bertrand et même Emmanuel Macron ne sont que des éléments secondaires de la partie qui se joue dans l’ordre institutionnel et qui implique, au-delà des rapports de force, les principes mêmes de la res publica.

La crise démocratique que nous subissons résulte de quatre facteurs bien connus de nos lecteurs mais que les acteurs et les commentateurs de la vie politique ignorent résolument. Abandon volontaire d’éléments décisifs de notre souveraineté, dans l’ordre monétaire, commercial, financier et budgétaire. Choix du quinquennat. Négation du suffrage universel en 2005. Retour dans le commandement intégré de l’Otan. Il en résulte un suivisme généralisé, qui est masqué par un concours de postures de droite ou de gauche.

Sous les agitations politiciennes et les émois médiatiques, il n’est pas difficile de discerner une conviction commune : l’ordre des choses est naturel ; il ne peut être réformé qu’à la marge mais il est possible d’en tirer diverses rentes. Malgré leurs déclarations martiales, les révolutionnaires de la France insoumise et les nationalistes du Rassemblement national, qui ont presque en même temps enterré la question de l’euro, ne sortiront pas de leur zone de confort pour en finir avec les fausses fatalités.

Tel est le cadre général d’une gouvernance oligarchique tout entière vouée à la défense du capitalisme financier, en pleine harmonie avec les organes de l’Union européenne. Pendant comme après la formation du nouveau gouvernement, des personnages secondaires vont chercher des arrangements réversibles en multipliant les effets de manche tandis que les médias disserteront sur le prétendu “domaine réservé” et les “ministères régaliens” qui n’ont aucune existence juridique.

En attendant que se précisent les modalités d’une “coexistence” entre l’Elysée et Matignon, il faut dire que la nomination de Michel Barnier n’est pas un coup de force. Aux termes de l’article 8 de la Constitution, le président de la République nomme le Premier ministre, sans qu’aucune obligation soit précisée. Ce qui n’est pas acceptable, c’est la volonté, manifestée par Emmanuel Macron pendant plus de cinquante jours, de persévérer dans l’hyper-présidentialisme qui noie la fonction présidentielle dans l’activisme d’un personnage qui veut jouer tous les rôles. Ce qui n’est pas acceptable, c’est la volonté macronienne d’influer sur les rapports de force parlementaires et de faire un “deal” – j’emploie le mot à dessein – avec Marine Le Pen, qui va mettre le gouvernement Barnier sous l’étroite surveillance du Rassemblement national. L’homme qui voulait “faire barrage” au lepénisme lui offre un superbe tremplin.

La dissolution de juin va continuer de produire ses effets négatifs. Les ambitions présidentielles vont s’ajouter aux incertitudes parlementaires et ravager le “bloc central” – qui n’est rien d’autre que le cœur de l’oligarchie. Les aléas de la vie politique, aussi spectaculaires soient-ils, ne devront pas nous distraire de notre principal souci : le viol permanent de l’article 5 de notre Constitution. Depuis Nicolas Sarkozy, le président de la République n’est plus “le garant de l’indépendance nationale” et sa complète transformation en chef de parti nuit au “fonctionnement régulier des pouvoirs publics”. Il est surtout évident que le fondé de pouvoirs de l’oligarchie n’exerce jamais sa fonction arbitrale, essentielle pour les institutions comme pour la paix civile.

En choisissant un ancien membre de la Commission européenne, qui se situait en 2021 à la pointe extrême du néolibéralisme, Emmanuel Macron provoque lucidement les citoyens qui, en majorité, ont signifié par divers truchements qu’ils ne voulaient plus de lui ni de sa politique. Comme la rue est l’un des modes d’expression du peuple souverain, il est probable que la France connaîtra quelques-unes de ces journées qui scandent son histoire…

Dans l’attente des événements, nous continuerons de militer pour un retour à la Constitution de la Ve République, assorti de réformes sur lesquelles nous n’avons cessé de réfléchir et de débattre. Nous voulons, selon la lettre de la Constitution, une présidence arbitrale et un gouvernement capable de déterminer et de conduire la politique de la Nation – ce qui suppose que la Nation redevienne le souci primordial – et un Parlement libéré du poids élyséen. Il n’y a pas de “maître des horloges”. La présidence est inscrite dans sa temporalité propre, le gouvernement a son propre rythme, qui n’est pas nécessairement celui du Parlement. Voulant jouer tous les rôles et confondant tous les rythmes, les présidents quinquennaux ont fait sortir la France de l’histoire qui se fait, en invoquant la fiction européiste chère à Michel Barnier. Tel est le scandale des scandales, qu’il nous faut sans relâche dénoncer.

***

Editorial du numéro 1283 de « Royaliste » – 9 septembre 2024

 

 

 

Partagez

1 Commentaire

  1. RR

    Excellente analyse (comme d’habitude).

    « les nationalistes du Rassemblement national »

    Je ne suis pas certain que le Rassemblement « national » soit dans la filiation de l’un des « maîtres » du nationalisme français que sont Paul Déroulède (républicain), Charles Maurras (royaliste) et Georges Valois (fasciste).
    Le R »N » se situe plutôt dans la filiation Le Pen, une famille qui vit aux frais des contribuables et des héritages (Hubert Lambert). Le Pen père le disait d’ailleurs lui même à André Lajoinie lors de son face à face avec le porte parole du Parti communiste: « Je ne suis l’héritier de personne sauf de mon ami Lambert » (sic).
    Il ne faut de fait pas s’étonner si ces gens-là changent de positions politiques comme de chemises. Le but est d’être élu pour bénéficier des salaires (exorbitants – quand on pense que Charles de Courson élu depuis des décennies appelait à augmenter encore le salaire des députés jugé selon lui trop faible) dont on peut ainsi bénéficier. Si des privilèges sont tombés un certain 4 août, d’autres les ont remplacés. Les Français qui travaillent durs pour souvent un salaire indécent peuvent apprécier.