La brillante intelligence du personnage est incontestable. L’étendue de ses connaissances a été prouvée lors d’innombrables prestations publiques. Sa capacité à intégrer de nouvelles données n’est pas moins attestée. Et pourtant, Emmanuel Macron ne comprend rien.

Élu par deux fois, l’homme ne comprend toujours pas la fonction éminente dont il a la charge. Ignorant le principe d’arbitrage, il agit selon les circonstances tantôt comme chef du gouvernement, tantôt comme ministre polyvalent. On le voit saisir le portefeuille du ministre des Affaires étrangères, puis celui de la Défense avant de prendre celui du ministre des Affaires sociales comme il le fit le 24 mars à Bruxelles. Oubliant une fois de plus que le chef de l’Etat, quand il est à l’étranger, ne doit pas commenter l’actualité française, Emmanuel Macron s’est déclaré “à la disposition de l’intersyndicale” pour “avancer sur des sujets comme l’usure professionnelle, les fins de carrière, les reconversions…”. Autant de dossiers qu’il maîtrise sans doute parfaitement, et qu’il brandit pour amadouer les syndicats avec l’habileté d’un DRH confronté à la mauvaise humeur des salariés !

Hélas, Emmanuel Macron n’a jamais compris que le président de la République était par fonction en charge de l’essentiel, donc suffisamment dégagé des affrontements politiques et sociaux pour être le recours capable de trouver une issue apaisante aux conflits. D’ordinaire, une charge publique élève l’homme qui l’occupe au-delà de lui-même. Le quinquennat a rabaissé la fonction et privé celui qui l’occupe de la hauteur de vues qui permet de bien saisir le jeu des acteurs et de faire prévaloir l’intérêt général. Pris dans les arguties comptables et dans le jeu politicien, lié par les promesses faites à Bruxelles et se voyant sous l’œil des marché financiers, courant d’un théâtre à l’autre – celui de la guerre en Ukraine, celui de la révolte en France, celui du Parlement, celui du Conseil européen – Emmanuel Macron n’a ni le temps, ni l’indépendance d’esprit, qui lui permettraient d’agir à bon escient.

Nous sommes les témoins, furieux, de ce naufrage dans la contingence. Obsédé par sa réforme des retraites, Emmanuel Macron a choisi le passage en force du projet de loi par le détournement de procédure qui a précédé l’utilisation de l’article 49.3. Le stratège de l’Elysée n’a pas compris que, dans leur majorité, les Français seraient rendus furieux par l’addition de moyens anticonstitutionnels et de forçages légaux. Il n’a pas compris que le jeu parlementaire avait changé et que de nombreux députés choisissent désormais une tactique locale sans se soucier de la stratégie des dirigeants de leur parti. Ainsi les dix-neuf députés LR qui ont voté la motion de censure transpartisane sans être sanctionnés.

Ces accablantes bévues institutionnelles s’inscrivent dans une totale incompréhension de la société française.

Emmanuel Macron a cru que les critiques adressées à la réforme des retraites seraient atténuées ou neutralisées par l’effort gouvernemental de pédagogie. C’était oublier que le gouvernement Juppé avait lancé en 1995 une opération tout aussi pédagogique sur les retraites qui avait provoqué un mémorable mouvement de grèves et de manifestations, puis le retrait partiel de la réforme : beaucoup de Français savaient déjà, à cette époque, que les “réformes” avaient pour objectif la réduction de la protection sociale.

Emmanuel Macron a parié sur la résignation des Français après l’échec de la motion de censure et la survie pitoyable du gouvernement Borne. Il s’est même cru assez fort pour piétiner l’ennemi de son mépris en dénonçant l’illégitimité de la “foule” et en comparant les désordres de la rue à des menées factieuses à la manière de Trump et Bolsonaro. L’ampleur des mobilisations du 23 mars a montré que le pari macronien était perdu. La détermination des manifestants est intacte, l’opinion publique leur est majoritairement acquise et c’est Emmanuel Macron qui concentre sur lui toutes les colères accumulées depuis quarante ans – depuis l’annonce, le 23 mars 1983, de la politique de “rigueur” par François Mitterrand.

Dans les rues de France, la “foule” honnie par Emmanuel Macron est composée de plusieurs générations, qui portent et se transmettent la mémoire de ces quarante années de régression économique et sociale sous prétexte de désinflation compétitive, de marché unique européen et de mondialisation heureuse. Cette époque est révolue et Emmanuel Macron ne l’a pas compris. Il est entré en scène après la crise financière de 2008, avec les préceptes éculés du catéchisme néolibéral, les préjugés du banquier d’affaires et l’arrogance de l’expert. Parvenu à l’Elysée, il n’a pas vu que la démondialisation était en cours, que l’Union européenne était mortellement paralysée, que l’élite du pouvoir, des affaires et des médias s’était depuis longtemps délégitimée par sa défense obstinée du capitalisme financier. Dans la lutte frontale qui est aujourd’hui engagée, il n’a même pas compris que le référendum était la seule issue démocratique possible, hors de laquelle il n’y a plus que la résistance par inertie ou la réplique violente.

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Editorial du numéro 1253 de « Royaliste » – 26 mars 2023

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2 Commentaires

  1. xc

    Le Président qui usurpe la fonction de Premier ministre, cela a commencé avec le Général qui s’était auto-attribué un « domaine réservé du Président », notion absente de la constitution, avec la Défense, les Affaires étrangères et l’Algérie. Et ce, à l’époque où il n’avait été élu que, si j’ose dire, au suffrage indirect, par un collège électoral, comme les Sénateurs.
    A mon sens, c’est l’élection du Président au suffrage universel direct, par l’ensemble du corps électoral, qui a complété l’usurpation. Imagine-t-on les candidats à la Présidence ne pas parler de l’emploi, de la fiscalité, de l’école, de la sécurité, etc, mais seulement de la façon dont ils interprètent les attributions présidentielles telles que décrites par la Constitution ?

  2. Rene Fievet

    L’exemple du Portugal montre qu’on peut parfaitement avoir un Président de la République élu au suffrage universel et qui exercice uniquement la fonction d’arbitrage qui lui est dévolu par la Constitution. Ce qui fait que le Président gouverne sous la Vème République, c’est le principe de la « majorité présidentielle » : une majorité se forme au Parlement non pas pour soutenir un programme de gouvernement présenté par un parti politique – ou une coalition de partis politiques – mais pour soutenir le Président. Ce qui n’est pas du tout la même chose. Dans ce cas, très logiquement le Premier ministre devient politiquement responsable devant le Président (ce qui n’est pas inscrit dans la Constitution).
    Bertrand Renouvin reprend à son compte la fameuse formule de Clemenceau à propos de Poincaré : « il sait tout, mais il ne comprend rien ». Est-ce si sûr ? En fait, Emmanuel Macron subit la dure loi de la politique : il n’y a pas de majorité présidentielle au Parlement, et il devient pour lui difficile de gouverner. Je pense qu’il a au moins compris cela. Mais il est victime de son obstination : il fallait qu’il tire les conclusions du résultat des législatives de juin 2022, et passe un compromis politique avec la droite républicaine pour construire une autre majorité présidentielle. C’est ce que lui conseillaient avec insistance Jean-François Copé et Edouard Philippe. Il ne l’a pas voulu, a souhaité continuer comme avant, et en paye maintenant le prix.