Marine Le Pen ne fait plus peur. C’est bien ce qu’elle cherchait ! Mais la médaille a son revers : elle est plus que jamais la grande prêtresse d’un rite d’opposition qui assure à tout oligarque une élection de maréchal.

 

On ne lit pas les programmes des candidats parce que nul n’ignore que la distribution de manne providentielle s’arrêtera en fin de période électorale. Mais il est parfois utile de comparer les anciens programmes aux nouvelles moutures. C’est même édifiant dans le cas de Marine Le Pen.

En 2017, les engagements de Marine portaient sur 144 grandes mesures. La première ? “Retrouver notre liberté et la maîtrise de notre destin en restituant au peuple français sa souveraineté (monétaire, législative, territoriale, économique)”. Ceci en ouvrant une négociation avec nos partenaires européens “suivie d’un référendum sur notre appartenance à l’Union européenne”. Aux objectifs classiques de rétablissement de l’ordre dans la rue et de maîtrise de l’immigration, s’ajoutaient l’esquisse d’une politique industrielle et de nombreuses mesures sociales. C’était là un programme de “nationalisme intégral”, critiquable sur bien des points, inacceptable quant à la suppression du droit du sol, mais qui présentait un semblant de cohérence.

Par rapport au catalogue Marine 2017, le programme pour 2022 est pâlichon. Seulement 22 mesures ! La première concerne l’immigration, la deuxième l’éradication des idéologies et réseaux islamistes, la troisième la sécurité puis on passe aux mesures sociales qui permettent de proclamer que Marine Le Pen est la candidate du pouvoir d’achat. Mais celle-ci ne sort pas du cadre néolibéral : par exemple, la hausse des salaires de 10% serait obtenue par exonération de cotisations patronales. Les conditions générales qui permettraient une politique favorable aux salariés ne sont pas réunies puisque Marine Le Pen a rejeté après sa défaite de 2017 toute mise en cause de l’euro et tout projet de sortie de l’Union européenne.

Dès lors que reste-t-il ? Une xénophobie banale qui est le marqueur d’un populisme banalisé. Marine Le Pen à l’Elysée, disposant d’un gouvernement complaisant, n’irait pas plus loin que le RPR en 1986 qui avait annoncé la suppression du droit du sol et qui a reculé en raison des difficultés considérables qu’une telle mesure aurait provoquée.

Comme les électeurs voient Éric Zemmour surenchérir sur l’immigration et l’islam, Marine Le Pen, qui n’a jamais voulu, quant à elle, créer les conditions d’une guerre civile, ne fait plus peur. Elle occupe tranquillement le créneau protestataire, et gère en bonne “rentière du malheur” son électorat populaire.

La présidente du Rassemblement national avait en elle assez de force pour surmonter sa défaite de 2017 mais il faut reconnaître qu’elle a été bien servie par les circonstances : le départ de Marion Maréchal et l’échec total de l’organisation créée par Florian Philippot lui ont permis d’éviter une guerre interne. Comme aurait dit l’autre maréchal (Staline), le parti s’est renforcé en s’épurant. Le parti, ou plus exactement Marine Le Pen car le Rassemblement national est une organisation fragile, mal implantée dans le pays, dépourvue de fortes personnalités, indifférente au débat intellectuel.

Comme un bonheur ne vient jamais seul, l’élimination de Marion Maréchal et de Florian Philippot a été suivie par les errements de Jean-Luc Mélenchon. Un populisme de gauche incarné par un tribun talentueux aurait pu, tout au long du quinquennat, attirer une partie de l’électorat populaire. Le lider maximo du non-parti intitulé La France insoumise a préféré draguer les réseaux communautaristes et s’afficher avec des islamistes patentés. Même s’il parvient in extremis à recoller des morceaux de la gauche, il restera un gros décalage entre sa sociologie petite-bourgeoise et ses prétentions à l’Union populaire.

Ces circonstances favorables ne permettront pas l’élection de Marine Le Pen, qui fait toujours l’objet de fortes réactions de rejet en raison de son programme xénophobe mais surtout parce qu’elle ne peut pas garantir sérieusement, à la différence d’Emmanuel Macron, les privilèges des catégories aisées.

L’arrivée de “Marine” à l’Elysée provoquerait d’ailleurs des déconvenues aussi vives qu’immédiates. On peut tenir pour assuré que le Rassemblement national serait incapable d’obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale en raison des faiblesses structurelles de ce parti et des vives réactions qui ne manqueraient pas de se produire aux législatives. Les partis de gauche étant exsangues, c’est la droite classique qui bénéficierait du retour de manivelle électoral. Si “Les Républicains” et quelques centristes obtenaient la majorité absolue à l’Assemblée, le Premier ministre et le gouvernement seraient de la même couleur et c’est une nouvelle version du bloc oligarchique qui assumerait la “gouvernance” ultralibérale sans que l’Elysée puisse s’y opposer. Sous l’arbitrage problématique de Marine Le Pen, la Ve République retrouverait les voies de la cohabitation – mais avec une présidence très faible.

Beaucoup de Français qui font des prévisions analogues jugeront, le jour du deuxième tour, que le jeu n’en vaut pas la chandelle.

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Article publié dans le numéro 1231 de « Royaliste » – 24 mars 2022

 

 

 

 

 

 

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