Monarchie et démocratie

Juil 18, 1984 | Res Publica

 

L’histoire de notre pays et le régime politique de nombreux pays européens font ressortir la relation concrète et fondamentale entre la monarchie et la démocratie.

L’opposition abstraite que l’on a prétendu établir entre les modes monarchique et démocratique de gouvernement ne résiste pas à l’épreuve des faits. Pour se convaincre de la relation concrète entre monarchie et démocratie, il suffit d’observer le régime politique de la majorité des pays européens : en Angleterre, en Espagne, en Belgique, dans les pays de l’Europe du nord, la vie démocratique se marie spontanément à un pouvoir monarchique. Cette coexistence n’est pas seulement due à la tradition et ne tient pas non plus à la faiblesse des pouvoirs constitutionnels des rois et des reines. Loin d’être théorique, cette relation entre le peuple et le pouvoir royal est fondamentale : elle exprime l’unité même de la nation, comme en Belgique ; elle est la condition de la paix civile et de la liberté, en Espagne singulièrement ; elle donne au pouvoir une humanité qui compense une organisation sociale par trop bureaucratique.

L’INVENTION DE LA DÉMOCRATIE

Mais la France ? Trop souvent encore, malgré les travaux de l’école historique contemporaine, l’idée de la monarchie est associée, Louis XIV aidant, à celle d’absolutisme – donc à l’idée d’un pouvoir sans partage. C’est négliger le fait que Louis XIV avait moins de pouvoir qu’un actuel Président de la République. C’est oublier qu’en 1789 la monarchie a littéralement inventé la démocratie moderne lorsqu’il s’est agi de convoquer les Etats Généraux. L’idée d’une « Assemblée vraiment nationale » vient de Louis XVI et, pour l’élire, le droit de vote sera universel. Une logique perverse transformera ce processus démocratique et le fera sombrer dans la dictature et la Terreur, avant que Bonaparte n’impose sa loi… Aussi faudra-t-il attendre la Restauration pour voir s’instituer un régime représentatif et s’amorcer une vie politique démocratique, sous l’égide de rois fort injustement décriés. Comme dans les autres pays européens, c’est la monarchie qui a suscité la démocratie et lui a permis de s’instaurer.

Certes, la démocratie survivra à la monarchie française, mais dans des contradictions insurmontables et dans le risque permanent de guerre civile. La troisième, puis la quatrième république tenteront de réaliser le « gouvernement du peuple par le peuple » défini par les théoriciens. Mais cette belle -formule n’a jamais pu se traduire dans les faits. Très vite, comme on l’a vu au moment de la Révolution, le « gouvernement du peuple » se réduit à la dictature d’une petite minorité qui prétend parler au nom du peuple et qui, en réalité, lui dicte sa loi de fer. Sans tomber dans les excès de 1793, la troisième république subira la même logique : ce n’est jamais le peuple qui gouvernera, mais tel ou tel parti politique, représentant lui-même les intérêts d’une classe sociale. Loin de se gouverner lui-même, le peuple sera dirigé, parfois très durement, par une bourgeoisie gérant l’Etat à son seul profit. Loin de se gouverner lui-même, le peuple se verra privé, pendant presque tout le 19ème siècle, de libertés syndicales, régionales et municipales. Il faudra attendre 1884 pour que les syndicats soient autorisés et… 1981 pour qu’une décentralisation soit amorcée.

C’est pourtant dans ces domaines concrets que l’idée d’un gouvernement du peuple aurait pu prendre toute sa force : dans l’exercice quotidien de la citoyenneté, dans l’autogestion des entreprises, dans l’auto-organisation de la société. Mais ces pouvoirs concrets seront, et sont encore, limités par la centralisation étatique ou purement et simplement refusés. Dans la monarchie française, en revanche, les libertés régionales et professionnelles étaient fort étendues, et l’emprise réelle de l’Etat très faible. Sans doute est-il impossible de restaurer les corporations de métiers ou de recréer l’ancienne vie locale, dans un pays qui a profondément évolué. Mais l’idée d’auto-organisation doit être reprise, adaptée au monde moderne, et prolongée dans de nombreux domaines, afin que les citoyens puissent reconquérir leurs pouvoirs face à la bureaucratie. Telle est la seule conception réaliste d’un gouvernement du peuple.

ELARGIR LA DÉMOCRATIE

Dans cet élargissement de la démocratie, la monarchie jouera un rôle irremplaçable. D’abord parce qu’elle permet de concevoir l’auto-organisation selon la justice et la liberté, et dans l’unité indispensable. Ensuite parce qu’elle permet de résoudre les problèmes posés par l’exercice de la démocratie politique.

— Les autonomies locales, régionales et professionnelles ne peuvent exister sans un pouvoir reconnaissant leur existence et capable d’exercer son arbitrage dans les multiples conflits d’intérêts qui ne peuvent manquer de se produire. Pour que cet arbitrage s’effectue selon la justice, un pouvoir indépendant est nécessaire, ce qui exclut que le chef de l’Etat soit le chef d’un parti ou l’élu d’un camp. Comme on le constate dans les monarchies actuelles, la monarchie donne au pouvoir cette indépendance qui est le fondement de la justice et de la liberté : elle est le fondement de la démocratie sociale.

— La démocratie politique pose de façon constante la question de l’alternance – toujours mal vécue dans notre pays – et de la continuité du projet politique commun. Lorsque le chef de l’Etat est élu, il est l’homme d’un camp contre un autre camp et ne peut, par conséquent, incarner l’unité de la nation. Le pouvoir politique devient une sorte de citadelle, occupée par un parti, toujours menacée d’une reconquête qui, lorsqu’elle se produit, est immédiatement contestée. La politique ne peut être que partisane et, qui plus est, peu efficace puisque limitée dans le temps. Au contraire, parce qu’il est libre de toute attache partisane, parce qu’il n’est pas l’élu d’une faction, le roi, comme on le voit en Espagne, peut présider aux alternances politiques tout en assurant la continuité de l’action dans le long terme. Ainsi, en mettant fin à l’esprit de guerre civile, en garantissant l’alternance, la monarchie est la condition première de la démocratie politique.

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Article publié dans le numéro 409 de « Royaliste » – 18 juillet 1984

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