Depuis qu’il exerce la présidence funéraire du parti qui a osé s’intituler “Les Républicains”, Éric Ciotti tente de faire valoir un semblant d’autorité auprès des cinq tendances répertoriées de sa formation. Pour sauver les apparences, il a eu l’idée de constituer un shadow cabinet, ou cabinet fantôme, chargé de donner l’illusion d’une cohérence.

L’information serait de faible intérêt si l’initiative du député niçois n’était en parfaite adéquation avec l’air du temps. Le cabinet fantôme de la vieille droite néolibérale va donner la réplique à la gouvernance fantomale qui est censée présider aux destinées de la nation. Depuis belle lurette, il est évident que nous n’avons plus de gouvernement mais son exacte négation puisque la gouvernance est l’art de gouverner sans gouvernement, dans le mépris du peuple souverain et si nécessaire contre lui.

Cette gouvernance néolibérale n’est pas nouvelle mais elle approche avec Emmanuel Macron de son point de perfection. Sous la houlette d’une Elisabeth Borne présentée comme toujours-déjà sur le départ, des ministres que l’on n’avait jamais vus apparaissent soudain à la lueur d’un fragment brûlant de l’actualité – parfois le commerce, parfois l’industrie – mais d’autres se sont perdus dans les méandres de ces structures participatives-dissipatives qu’on appelait autrefois les ministères. Ainsi Madame le ministre des Affaires étrangères.

Dans ce bal spectral, les deux béquilles de la Présidence restent en pleine lumière. L’un, à l’Intérieur, tient le discours de la Vigilance face au Désordre et au Crime – qui n’en prospèrent pas moins. L’autre, à Bercy, clame qu’il va couper les têtes de l’hydre inflationniste, en pleine connivence avec ses amis du patronat. Qu’importe. Emmanuel Macron se tient au centre. Nous ne voyons que lui.

Mais que voyons-nous ? Des apparences successives, des costumes de scène, du semblant. Emmanuel Macron ne cesse de se raconter l’histoire dont il est le héros. Sur nos écrans, il a joué Clemenceau, de Gaulle, Chirac, Mitterrand. Il fut Jupiter, il est aujourd’hui Vulcain forgeant l’industrie de demain. On dit qu’il pourrait séduire une chaise. Il a fait beaucoup mieux que cela. D’entrée de jeu, il a transformé la fonction présidentielle en fiction récitée, réduisant l’incarnation du pouvoir à des exhibitions télévisées. Il vient même de réussir l’exploit assez rare d’inverser le légendaire spectacle donné par Potemkine. Le ministre présentait à Catherine II des villages de carton-pâte pour lui faire croire que le peuple était heureux. Emmanuel Macron fait défiler sur les écrans de télévision sa propre image de chef heureux au peuple furieux qu’on a parqué à bonne distance. Sa solitude est celle du Héros qui tutoie l’Histoire à l’Arc de Triomphe, au Mont Valérien. Et s’il fait des rencontres, c’est avec le Destin. “Paradoxalement, ce qui me rend optimiste, c’est que l’histoire en Europe redevient tragique” a osé dire cet homme qui a ensuite déclaré la guerre à un virus et s’est mêlé du conflit russo-ukrainien pour y jouer un rôle de supplétif.

La tragédie effective, sanglante, donne l’occasion de nouvelles postures qu’on abandonne lorsqu’il s’agit de distribuer ce que l’Elysée appelle des “sucreries”. Et voici le Clemenceau du XXIe siècle en bras de chemise dans une cour d’école, annonçant des subsides pour les enseignants. Et voici le nouveau de Gaulle annonçant des baisses d’impôts pour les classes moyennes. Et voici le patron de la start up nation discutant à Versailles avec Elon Musk et jouant les banquiers d’affaires.

Annonces prolifiques présentées comme les fruits de l’attractivité. Pluie bienfaisante de promesses de réindustrialisation et de plein emploi. Tout autour du Héros de notre temps, les élites rassemblées dans ce que Christophe Guilluy appelle le “Parti de la brume” diffusent des expertises élogieuses et de solennelles banalités au cours d’interminables bavardages.

Les feux de la rampe et les signaux-prix dans la brume ne doivent pas faire oublier les techniciens qui permettent que la pièce soit jouée. Quand Emmanuel Macron quitte la tribune, des fonctionnaires sont mobilisés en hâte pour rédiger un projet de loi, mettre au point des décrets d’application, évaluer les effets de la baisse d’impôt annoncée, négocier des aménagements avec Bruxelles – là où se trouvent les maîtres du jeu -, rédiger les discours à venir… Et il y a toujours des policiers et des gendarmes pour prendre des coups lorsque la réforme dépasse le seuil du tolérable, des soldats pour risquer leur vie à la suite de choix erratiques.

La gouvernance néolibérale n’a aucune considération pour ceux qui, à tous les niveaux de responsabilité, s’efforcent de mettre un peu de réalité dans le fantomal, une once de rationalité dans le dilettantisme, un soupçon d’humanité dans la langue de bois. Ces serviteurs de l’Etat peuvent très bien décider, un jour ou l’autre, de ne plus sauver les apparences et de rejoindre les millions de citoyens déjà mobilisés.

L’oligarchie réunit un petit nombre de personnes pour la défense de très gros intérêts financiers. Mais cette coalition n’est rien si ceux qui assurent quotidiennement sa survie décident de se croiser les bras.

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Editorial du numéro 1257 de « Royaliste » – 21 mai 2023

 

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