Après la mort tragique du jeune Nahel, l’inflation verbale a accompagné les images de désolation. On sait que mal nommer les choses ajoute aux malheurs du monde, et c’est pourquoi il faut plus que jamais peser ses mots.

Guerre civile ? Le fantasme du nettoyage ethnique qui traîne dans les colonnes du Figaro relève de la prophétie autoréalisatrice. Loin des logiques identitaires, les incendies et destructions touchent la population laborieuse des quartiers pauvres, sans distinction d’origine.

Insurrection ? Les bandes qui sont à l’œuvre ne veulent pas prendre le pouvoir, même local, mais détruire les bâtiments et viser des personnes qui le symbolisent.

Nous sommes confrontés à des émeutes, suivies de pillages. La colère soulevée par le meurtre de Nahel a été pour partie spontanée. Elle a aussi été encouragée par les intellectuels et les dirigeants de la gauche radicale. Leur fantasme de révolte populaire s’est brisé sur la dynamique du pur et simple pillage, commis par de très jeunes gens qui vivent dans leur monde de violence et qui, maintenant, font peur aux militants d’ultra-gauche venus exploiter la situation.

Cette extrême jeunesse des pillards frappent les observateurs patentés, qui s’étonnent de leur sens tactique face aux policiers, comme si les jeunes-des-cités étaient nécessairement des imbéciles. Les médias  feraient mieux de s’inquiéter de l’état d’abandon dans lequel se trouve une grande partie de la jeunesse des quartiers réputés “difficiles” ou “sensibles” après quarante années d’une “politique de la ville” jalonnée d’innombrables discours et rapports sur un sujet hautement polémique.

Témoins de cette politique et acteurs dans divers quartiers, nous devons rappeler les erreurs monumentales commises par la gauche et la droite.

Création de courroies de transmission sous la forme d’associations aussi bien financées que mal implantées dans les cités, par un Parti socialiste incapable de remplacer le Parti communiste déclinant dans la fonction d’encadrement des banlieues pauvres qui lui était implicitement dévolue.

Régulation sécuritaire des “quartiers sensibles” abandonnée volontairement aux dealers et aux imams intégristes, de l’aveu même de hauts fonctionnaires.

Récupération ou destruction des associations bien implantées dans les quartiers populaires, par volonté de contrôle partisan ou à la suite d’un marché électoral conclu avec les islamistes.

Gestion technocratique de la politique de la ville, un temps confiée à un voyou affairiste après élimination de Banlieues 89 qui proposait une politique cohérente.

Suppression de la police de proximité et promesse provocatrice de nettoyer la banlieue au Kärcher

Ponctuée de révoltes, cette gestion erratique et minimaliste des “quartiers” a abouti à une croissante perte de contrôle qui s’est concrétisée par la radicalisation religieuse, la généralisation de l’économie souterraine et le désintérêt de la classe dirigeante pour des jeunes livrés à leur sort et conviés à trouver en eux-mêmes la solution à leurs problèmes. Solution d’autant plus impossible à trouver que les logiques néo-libérales de “compétitivité” concurrentielle, de désindustrialisation et de métropolisation reposent sur l’exploitation systématique d’une main d’œuvre sous-payée et reléguée dans les périphéries urbaines – frappée par un chômage endémique et aujourd’hui durement touchée par la hausse des prix alimentaires.

Somme toute, la gouvernance oligarchique assure la régulation néolibérale en achetant du temps par l’envoi de “chèques” de survie et en laissant se développer le marché de l’économie souterraine, non sans avoir calculé que les groupes mafieux assureraient par leurs propres moyens le maintien de l’ordre dans les quartiers qu’ils contrôlent.

C’est dans ce contexte que l’oligarchie appelle les familles à prendre leurs responsabilités vis-à-vis des enfants mineurs et que les médias – co-constructeurs de l’événement avec les émeutiers – dissertent sur la crise de l’autorité. Ces leçons de morale et de philosophie politique pourraient être entendues si la gouvernance ne donnait pas des preuves spectaculaires de son irresponsabilité et de son immoralité. Emmanuel Macron s’éclate dans des boîtes de nuit africaines lors de voyages officiels. Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts. Marlène Schiappa est compromise dans un scandale financier. Ce sont les premiers responsables de la crise de l’autorité. Comment pourraient-ils imposer le respect, eux qui ne respectent rien ?

La classe dirigeante ne veut pas savoir qu’elle vit sous le regard du peuple menu des chauffeurs, des serveurs, des employés, des policiers qui la protègent, des dealers qui l’approvisionnent, des prostituées qu’elle fréquente. Revenus dans les quartiers périphériques, ces témoins muets des bavardages ignobles, des marchandages répugnants et des mille manifestations du mépris dont ils sont écrasés, ne sont pas comme des chiens qui retournent à la niche. Ils se souviennent, jugent et récusent. Pour eux, comme pour la majorité des Français, il n’y aura pas de restauration de l’autorité sans l’exemplarité de ceux qui se proposeront pour le service de la nation.

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Editorial du numéro 1260 de « Royaliste » – 3 juillet 2023

 

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3 Commentaires

  1. Denis Collin

    Bien d’accord, cher Bertrand!

  2. Catoneo

    Le « modèle français » qu’aucun autre pays n’a jamais voulu appliquer, est en échec.
    L’invisibilisation des différences ethniques est un concept fumeux inapplicable aux réalités des sociétés humaines, à ceci près que cette fois, les « moins-que-rien » ont tout cassé !
    Comme l’ivrogne dévaste sa propre maison un soir de cuite, les djeunes ont tout pété de ce qui leur appartient. Tant qu’on n’aura pas analysé cette rage auto-destructrice, on n’avancera pas.

    Inutile d’arroser les « gilets jeunes » comme on l’a fait des gilets jaunes. Ils ne sont pas sensibles à cette corruption.

    Le pouvoir macronien n’est pas taillé pour relever ce défi, l’égalitarisme magique et l’uniformisation des moeurs dans un carcan laïque mal fondé l’en empêchent.

    Peut-être faudrait-il pour lui commencer par se taire ; parce que c’est un immense « ta-gueule ! » qui monte des cités.

  3. Mendo Henriques

    Un bilan précieux élaboré par Bertrand Renouvin pour comprendre ce qui se passe dans les émeutes. J’ai fait circuler cette entrée de blog parmi mes groupes d’amis au Portugal, et elle a été très appréciée, d’autant plus qu’elle contient une réflexion de fond sur cette crise qui répète les événements de 2005. Des doutes ont été émis sur les critiques adressées au président Macron en boîte de nuit. en Nigeria, parce que ce n’était qu’un événement de relations publiques