Élue au Parlement européen sous les couleurs de La France insoumise, Rima Hassan appelle à la “prise de l’Elysée” et à la révolution après avoir incité les “Franco-Palestiniens” à rejoindre la “résistance palestinienne armée”. C’est irresponsable car quelques exaltés pourraient prendre au sérieux cette posture médiatique, inscrite dans la stratégie de la tension préconisée par La France insoumise. L’objectif est de porter bourgeoisement Jean-Luc Mélenchon à la présidence de la République lors de la prochaine élection présidentielle. C’est seulement en cas d’échec face à Marine Le Pen que La France insoumise déclencherait, au dire de ses dirigeants, une révolution aux allures de guerre civile. C’est ainsi que l’on pourrait passer d’une vision romantique de la “prise de l’Elysée” comme réplique à la prise du palais d’Hiver, à des violences de rue que Jean-Luc Mélenchon aurait grand mal à contrôler. N’est pas Trotski qui veut.

Une révolution est possible en France, que nous avons annoncée trop à l’avance. Les déficits budgétaires et financiers que les gouvernances successives ne peuvent combler ni même réduire montrent qu’il est de moins en moins possible d’acheter du temps pour éviter de nouveaux effondrements économiques et d’autres explosions de colère. Mais cette révolution ne ressemblera ni à celle de 1789-91, ni à celle de 1830, ni à la révolution gaullienne de 1944-45 : les structures sociales, les circonstances et les enjeux sont par trop différents. Remisons aussi les références à l‘imaginaire de 1848 et de 1917 pour souligner les nécessités présentes.

Le renouvellement des élites par éviction d’une oligarchie totalement discréditée fait l’objet d’un large assentiment, de même qu’une politique fiscale permettant de réduire les inégalités sociales en même temps que les déficits. Il faudra aller plus loin. La reconstruction de l’Etat s’impose dès lors qu’on veut rendre à la nation la propriété de ses principaux moyens de production et, plus largement, mettre en application le Préambule de 1946. Une planification conçue comme participation démocratique à la définition des objectifs nationaux permettrait d’associer de nombreux citoyens à la vie politique tout en veillant à ce qu’ils puissent participer à la gestion des entreprises. Concilier les objectifs écologiques, industriels, agricoles et militaires, pour l’ensemble de la collectivité nationale, métropolitaine et ultramarine, ne sera pas une mince affaire…

Cette transformation profonde des structures économiques et des relations sociales sera d’autant plus difficile à mettre en œuvre que la partie occidentale de l’Europe est confrontée aux mêmes impasses et aux mêmes mouvements protestataires, ce qui implique un jeu complexe d’interactions. Les divers populismes ne sont pas à regarder comme des solutions aux crises nationales et à la crise ouest-européenne, mais comme la préface brouillonne de véritables bouleversements. S’il parvient au pouvoir avec son programme actuel, le Rassemblement national se trouvera dans les mêmes impasses que les équipes de l’oligarchie. Et l’alternative ultralibérale qui s’esquisse aujourd’hui à partir des figures de Javier Milei et d’Elon Musk ne nous sortirait certainement pas de l’ornière.

Il est possible que la classe politique continue à nous faire perdre notre temps, en explorant toutes les solutions qui ne remettront pas en cause le libre-échange, le carcan monétaire et la libre circulation des capitaux. Or il s’agit là d’un préalable à un changement profond qui s’inscrirait dans la tradition européenne des révolutions libérales (au sens politique) et nationales du XIXe siècle puis des révolutions démocratiques et sociales accomplies à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Une révolution réussie, c’est tout le contraire d’une violence fondatrice faisant table rase du passé. Elle s’accomplit par le retour aux principes – à commencer par le principe de légitimité – et dans le refus de la répétition d’un passé mythifié, par exemple celui des Trente Glorieuses. Elle s’appuie sur des médiations éprouvées – les communes, les syndicats, l’Etat – ce qui suppose le rétablissement d’un lien étroit entre le passé historique, le présent et l’avenir. Issues d’une révolution réussie en 1958, les institutions de la Ve République peuvent assurer les transformations économiques et sociales évoquées, dès lors qu’on respecterait – pour la première fois – la lettre de notre Constitution sur la nature parlementaire du régime, la fonction déterminante du gouvernement et le rôle arbitral du chef de l’Etat.

L’une de nos tâches est de rappeler que la politique de rassemblement suppose une réinscription dans l’histoire de France tout entière pour la réalisation d’un programme qui est déjà explicité dans des milliers de pages publiées sous diverses formes et dont nous nous faisons régulièrement l’écho.

Ce projet politique latent manque de l’incarnation qui permettrait d’entrer dans le jeu politique pour en bouleverser les données. Telle est la faille qu’il nous faut reconnaître et assumer, dans l’espoir d’une décision personnelle qui viendrait enfin la combler.

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Editorial du numéro 1291 de « Royaliste » – 30décembre 2024

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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6 Commentaires

  1. Wenzel Eric

    Evidemment d’accord avec Bertrand Renouvin sur un fond qui fait écho à une révolution « par le haut » sur laquelle j’avais fort modestement écrit dans un blog précédant.
    Mais qui pour faire cette révolution ? On ne peut rien attendre des politiques en place. Surtout si on devait en laisser l’initiative à LFI and co….

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  2. RR

    Evidemment il est réconfortant de lire un éditorial aussi lucide que celui-ci tout comme il est désespérant de savoir que cette très brillante analyse ne sera lue que par une infime minorité de Français et que ce qui y est préconisé ne sera hélas pas appliqué.

    « refus de la répétition d’un passé mythifié, par exemple celui des Trente Glorieuses.  »

    Les bien mal nommées. Pendant cette « époque bénie », combien de travailleurs honteusement exploités avec des conditions de travail indignes, des salaires de misères (ce qui explique en grande partie la puissance d’alors du Parti communiste), combien de femmes privées de droits fondamentaux traitées comme d’éternelles mineures.

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  3. RR

    Les « Trente glorieuses », c’est aussi le commencement du déclin de l’industrie française. Un homme le ressentait, c’était Jean-Jacques Servan-Schreiber. On lui reprochait d’être atlantiste, pro-américain, c’est possible et pourtant son célèbre essai intitulé Le défi américain paru en 1967 n’a pour but que de faire prendre conscience aux décideurs politiques et économiques français que si des changements radicaux (qui ont pour noms recherches poussées dans le domaine de l’innovation, exploitation des techniques nouvelles notamment l’informatique, adaptation des enseignements dans les écoles aux évolutions technologiques, motivation des salariés par le salaire et l’intérêt de leur travail par une forte implication) ne sont pas décidés, alors nous serons dominés par l’Amérique qui elle prend le train en marche. « JJSS » était particulièrement visionnaire et brillant, peut-être trop pour s’imposer dans une classe politique médiocre qui n’avait comme unique souci que de pouvoir rester en place. Rien n’a été fait bien au contraire, on en voit les résultats. Rien n’a bougé puis le marché s’est mondialisé et avec l’étroite collaboration des pouvoirs de Droite (Pompidou et l’exécrable Giscard dit d’Estaing) les tenants du Capital ont d’une part préféré faire venir une main d’œuvre immigrée afin de faire taire les légitimes exigences des travailleurs français et d’autre part toujours dans le même but d’amasser le plus possible de bénéfices transféré les usines dans les pays où la main d’œuvre locale est corvéable à merci. Résultat : une immigration massive, un chômage de masse, des produits souvent de bien moindre qualité que ceux d’avant (outillage, appareils domestiques, vêtements, jouets,…). Bref, la France a perdu sur tous les tableaux.

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  4. Kardaillac

    C’est bien le coup d’Etat de 1962, arrachant au Congrès l’élection du président pour la donner aux électeurs lambda facilement manipulables, qui a ouvert les vannes du clientélisme à tout crin. Le « peuple », récompensé de ses défaites par le Conseil National de la Résistance de 1945 allait dès lors être mis dans la position de revendications réitérées sans cesse jusqu’à l’effondrement de 1981.

    Le modèle social hérité de la Libération et agravé par la social-démocratie n’est soutenable que par une croissance affirmée et réelle. Ce qui n’est plus le cas en Europe occidentale.

    Toute réforme visant à garantir le bien commun et la souveraineté (ou mieux dit : l’optimisation de nos dépendances), est annihilée par l’hémorragie des déficits de tous ordres.

    Cette révolution nécessaire que vous appelez de vos vœux et que je plussoie, sera forcément inaboutie sinon même tragique par la coagulation des factions conservatrices de gauche attachées à sa perte. Il y faudrait un chef d’un charisme extraordinaire pour construire les cohortes du renouveau ; je n’en vois pas, qui soit intéressé par la politique ou simplement par notre Etat-nation en banqueroute financière et morale.

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    • RR

      « Le modèle social hérité de la Libération et aggravé par la social-démocratie n’est soutenable que par une croissance affirmée et réelle. Ce qui n’est plus le cas en Europe occidentale. »

      En effet, nous ne sommes pas prêts de nous relever de cette situation provoquée parles pouvoirs successifs.

       » je n’en vois pas [de chef charismatique], qui soit intéressé par la politique ou simplement par notre Etat-nation en banqueroute financière et morale. »

      C’est bien là le problème que je mettais en avant lors d’un « Mercredi de la NAR » consacré aux insurrections et révolutions en France.

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  5. Luc Laforets

    Pour réussir une révolution ? Il faut aller jusqu’au bout.

    Bertrand Renouvin nous propose pertinemment des clefs pour Réussir une révolution. Pourtant, au-delà d’une analyse juste de la situation de la France, il peine à élargir le spectre à la crise internationale du capitalisme, mais aussi à celle de la civilisation. Une crise omni-dimensionnelle marqueur d’un système en bout de course, et cela pas seulement dans notre pays. C’est cela qui nous plonge chaque jour un peu plus dans ce que je synthétise sous le terme de Barbarie.

    Oui, certes, tout changement de système ne peut s’adosser qu’à des principes, car ce sont eux qui nous guident sur le chemin tortueux de l’histoire. Que n’a suivi De Gaulle les principes intemporels énoncés dans l’Enracinement par sa contemporaine Simone Weil à Londres…

    Ces principes, ceux du Droit Naturel, il convient, comme vous le soulignez, de les faire vivre pour la première fois, car notre histoire nous enseigne précisément que c’est un manque de leur respect qui est la mère de toutes les dérives. Une filiation qu’il convient de renouer avec le préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, violée dès l’énoncé des premiers articles de cette même proclamation.

    Pas de demi-mesure donc, mais un modèle de société complet dont les prémices jalonnent l’histoire de la France avec notamment la Commune de Paris et De Gaulle, mais aussi celle du reste du monde.

    Cela suppose, bien sûr, une nouvelle Constitution, en lieu et place d’une Ve République à bout de souffle ; mais aussi un élan civilisationnel renouvelé lui aussi.

    Cordialement.

    Luc Laforets
    http://www.1P6R.org

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