Avec la nouvelle année, voici les nouveaux chèques signés par le gouvernement : chèque énergie, chèque bois de chauffage, indemnité carburant…

Ces appoints indispensables semblent témoigner de la bienveillance d’un Etat soucieux de nous épargner, autant que possible, les durs effets de la crise. Pourtant, ce message humanitaire ne nous fera pas oublier les écrasantes responsabilités d’Emmanuel Macron dans le délabrement de notre industrie nucléaire. Ni sa volonté d’imposer les réformes anti-sociales du marché du travail et du système de retraites.

Les gestes caritatifs ne sont pas faits pour compenser les défaillances de la politique sociale. En régime néolibéral, l’Etat verse des primes et des compléments de salaires pour éviter ou atténuer la violence des révoltes suscitées par des “réformes” impopulaires. En France et dans l’Europe “intégrée”, les gouvernements ont toujours cherché à gagner du temps, d’abord en promettant que les sacrifices seraient récompensés, puis en pariant sur les divisions et la lassitude des victimes du néolibéralisme.

En mars prochain, nous allons tristement commémorer le quarantième anniversaire du tournant de la rigueur décidé par le gouvernement socialiste avec l’aval de François Mitterrand. Tour à tour, les équipes de droite et de gauche qui ont formé la “gouvernance” oligarchique au début de notre siècle se sont acharnées à réduire le rôle économique et social de la puissance publique sous prétexte d’efficacité et de construction européenne.

L’ultra-concurrence, la compression des salaires, la précarisation des métiers et des tâches, la relégation géographique de populations toujours plus nombreuses et la dégradation de notre système d’enseignement ont abouti à des désastres étroitement reliés : la perte progressive du rang de la France, l’effondrement des classes moyennes et l’éclatement de la classe ouvrière.

Sans idéaliser les Trente glorieuses, qui n’étaient certes pas exemptes d’injustices et de violences sur fond d’apocalypse nucléaire, nous nous souvenons que la lutte des classes avait contribué après la guerre à la dynamique du progrès social dans la fierté partagée des réussites industrielles. Pendant ces quarante dernières années, on a proclamé à tous vents que la lutte des classes était “dépassée”, tout comme la nation, alors que les conflits sociaux se durcissaient. Les défaites subies lors des grèves et des manifestations syndicales ont scandé la longue période de dépossession et de déclassement qui n’est toujours pas terminée.

L’ensemble des citoyens a été dépossédé du patrimoine collectif constitué en 1936, en 1945 et en 1981. Une grande partie de la classe ouvrière a été obligée d’abandonner les tâches productives pour travailler, souvent loin du domicile, dans la logistique et les soins domestiques. Les classes moyennes ont subi la dévalorisation de leurs professions et métiers et la baisse de leur niveau de vie – mal compensée par le très coûteux crédit à la consommation.

Dans cette guerre sociale, la réalité du front de classe a été niée malgré les campagnes de presse lancinantes sur les fonctionnaires parasitaires, les abus de l’aide sociale et le coût insupportable des retraités. Aujourd’hui, les vainqueurs exercent leur domination sans le moindre complexe. Les gens de la finance, des médias et de la publicité, le haut encadrement public et privé ainsi que les débiteurs et les clients de cette nouvelle bourgeoisie forment une classe privilégiée qui rassemble 20% de la population.

A la différence de la vieille bourgeoisie libérale, patriote et attachée à la religion, la néo-bourgeoisie “ne se sent investie d’aucune responsabilité nationale à l’égard des classes populaires et moyennes françaises” comme l’explique Pierre Vermeren dans Le Figaro du 22 décembre.

Cette irresponsabilité s’accompagne d’une arrogance que rien ne justifie au regard des critères d’efficacité, de compétitivité, de performance, d’agilité sur le marché mondialisé. C’est bien cette élite du pouvoir, des affaires et des médias qui a liquidé l’industrie française en proclamant que la Chine serait l’atelier du monde. C’est bien elle qui a affirmé que la forteresse euro nous protégerait des crises. C’est encore elle qui nous a expliqué qu’il fallait se mettre à l’école de l’Allemagne pour bénéficier un jour de sa prospérité. Et ce sont les mêmes qui, trois ans après le début de la pandémie, constatent le manque de Paracétamol et nous annoncent de nouvelles pénuries de médicaments.

Si les clans de l’oligarchie et les diverses fractions de la nouvelle bourgeoisie ne reconnaissent pas leurs erreurs et leurs fautes, c’est qu’ils estiment ne jamais s’être trompés sur les bienfaits procurés par un système qui permet, par son injustice même, de développer dans des proportions inouïes les richesses privées (1), de préserver, malgré les crises, le règne sans partage du Capital.

Sur les décombres des populismes, la victoire de la nouvelle bourgeoisie semble totale. Corrompue, discréditée et largement minoritaire, il n’est pas dit qu’elle aura le dernier mot.

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(1) Cf. sur mon blog l’entretien avec Frédéric Farah : “L’ordre inégalitaire de la dette”.

Editorial du numéro 1247 de « Royaliste » – 1er janvier 2023

 

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2 Commentaires

  1. RR

    « Sans idéaliser les Trente glorieuses »

    Oui en effet. La condition sociale de beaucoup de Français était loin d’être bonne pendant les « Trente glorieuses » pour ne rien dire de celle des femmes encore privées des droits les plus élémentaires (incapacité juridique pour les femmes mariées, non accès à la contraception,…).
    Arlette Laguiller décrit très bien ces côtés peu glorieux de « notre » société des années 50-60-70 dans son livre C’est toute ma vie paru aux éditions Plon. D’accord ou pas avec les positions politiques de l’ancienne porte parole de Lutte ouvrière, on ne saurait ignorer les faits souvent ignorés par beaucoup pour ne pas y avoir été confrontés. En ce qui me concerne avant la lecture de cet ouvrage, je n’en savais rien.

  2. RR

    Rappelons s’il en était besoin qu’il est essentiel de connaitre le passé pour construire le présent et l’avenir. Malheureusement la majorité de nos compatriotes sont dans l’ignorance en ce domaine. Si ce n’était pas le cas, cela ferait longtemps que Napoléon Bonaparte aurait été définitivement et unanimement jugé pour ce qu’il était: un monstre qui a non seulement mis l’Europe à feu et à sang pour sa propre gloire et qui nous a fait perdre la Louisiane mais aussi qui a en France même instauré un régime liberticide dont l’incapacité des femmes mariées (abolie il y a seulement quelques dizaines d’années) n’est qu’une loi scélérate parmi tant d’autres. Lorsque l’on entend des personnalités (politiques ou non) faire l’apologie de ce personnage, on est tout simplement écœuré.