Nous célébrons la victoire de la France et de ses alliés. Victoire de la civilisation sur le projet, atrocement nihiliste, du nazisme. Victoire militaire et politique sur l’Allemagne : le 8 mai 1945, « c’en était fini pour longtemps de ce Reich conquérant, qui, trois fois en l’espace d’une vie d’homme, s’était rué à la domination » (1). Renaissance de la nation française : la République comme bien commun, la démocratie par la souveraineté populaire et l’exercice des libertés publiques. Et réaffirmation par le général de Gaulle de cette légitimité effacée pendant un siècle au profit d’une légalité qui avait été détruite le 10 mai 1940 : une légitimité qui fonde le pouvoir politique sur l’histoire, sur le service rendu à la patrie – la libérer par les armes, lui redonner son rang – et sur le consentement populaire.
Lorsque l’Allemagne capitule, la France a déjà engagé sa révolution économique et sociale par laquelle s’invente, dans la démocratie, contre tout totalitarisme, un socialisme ainsi défini : la juste répartition du revenu national est la condition de la croissance d’une économie souplement planifiée dans laquelle les entreprises publiques jouent un rôle moteur. Mais il faut attendre le retour du général de Gaulle aux affaires pour que la Constitution politique – celle d’une monarchie républicaine, démocratique et parlementaire – donne pleine efficacité à notre constitution administrative et soutienne notre constitution économique et sociale.
Les révolutions de 1944 et de 1958 étaient bien entendu marquées par l’inachèvement : il fallait étendre la protection sociale, il fallait inventer une participation des salariés à la gestion des entreprises privées et il y avait, dans la conduite de la politique économique, beaucoup trop de Pinay, de Giscard d’Estaing, de Rueff, de Pompidou… Mais, au début des années soixante-dix, il y avait la possibilité de fonder, sur le socle des acquis, un nouveau mode de développement national et international dans l’espoir, qui commençait à poindre, de la réunion de l’Europe continentale.
Nous avons eu, au contraire, une formidable régression que les socialistes de 1981 ont quelque peu retardée avant de rendre les armes – tandis que le parti chiraquien continuait de renier les principes de la politique gaullienne. Nous avons été et nous demeurons confrontés à un travail négatif de révision historique : dénonciation d’un prétendu mythe de la Résistance ; discours officiels sur la « France coupable » ; victoire sur l’Allemagne oblitérée par la lutte contre le nazisme ; négation des histoires nationales et de l’histoire elle-même dans l’idéologie du marché mondialisé. Tel fut, tel est l’esprit du temps qui préside à l’entreprise concrète de destruction des institutions politiques, à l’abandon de toute exigence quant à la souveraineté nationale, à la liquidation de l’œuvre économique et sociale de la Libération.
Soixante-dix ans après la Victoire, la République où l’on gouverne selon l’intérêt général est couronnée de fleurs rhétoriques et mortuaires par une oligarchie occupée à jouir des avantages que procure le pouvoir. La démocratie est vouée à l’étouffement que promet la « gouvernance » européiste aux peuples et aux nations qui résistent à ses diktats : de l’effacement du référendum de 2005 à la tentative d’étranglement de la Grèce, les preuves en ce domaine sont accablantes. La légitimité du Président élu se perd au fil de ses mensonges et de ses reniements, dans le mépris de la Constitution.
Pour ceux qui ont connu la période de la reconstruction, les progrès économiques et sociaux puis les espoirs nés de la fin de la Guerre froide et milité pour qu’on aille plus avant, ce 8 Mai 2015 est un anniversaire triste. Ce n’est pas la hantise du déclin qui assombrit la perspective mais un sentiment d’échec passé et présent que durcit l’impasse politique : il ne suffit pas de brandir des drapeaux tricolores devant la statue de Jeanne d’Arc pour se situer dans la filiation de la France combattante de 1914 à 1945, de la France résistante et du projet que le général de Gaulle avait mis en œuvre dans la continuité de la politique capétienne.
Telle est notre épreuve. Elle sera surmontée car elle nous est légère au regard de celles qu’affrontaient, sur les champs de bataille de notre « Guerre de Trente ans », nos pères selon la chair ou selon l’esprit.
***
(1) Mémoires de guerre – Le Salut.
« La légitimité du Président élu se perd au fil de ses mensonges et de ses reniements, dans le mépris de la Constitution. »
Parmi les avilissements de ce temps, vous pointez là un des plus lourds qui soit en conséquences funestes : l’absence quasi totale, quasi générale de scrupules dans la pratique constitutionnelle, dans la conduite des affaires de l’État.