Bruno Le Maire se présente comme l’homme d’un bon sens qui recèle souvent, quoi qu’on en dise, de désolantes stupidités. Pour le ministre de l’Économie, tout est simple : la croissance française doit être revue à la baisse, donc il faut faire des économies. Moins de croissance, c’est moins d’impôts, donc moins d’argent à dépenser.

Bien entendu, l’homme de Bercy oublie de dire qu’il s’est engagé auprès de Bruxelles et des agences de notation financière à réduire le déficit budgétaire. Ce qui ne l’empêchera pas d’invoquer à tout propos la souveraineté… Pour le moment, il se pose en Père la rigueur, qui se flatte de réaliser dix milliards d’économies immédiates sur les dépenses de l’Etat, sans augmenter les impôts. Cela se fait d’ailleurs par simple décret, comme si le Parlement n’avait pas à se prononcer sur les crédits qu’il a votés et sur la pertinence des coupes budgétaires. Celles-ci portent principalement sur l’écologie, le Travail, la Recherche et l’enseignement supérieur. On va, une fois de plus, arrêter des projets, empêcher des recrutements, provoquer des déceptions et des souffrances pour économiser des sommes qu’on jettera ensuite dans le foyer d’un incendie social et dans le feu de la bataille pour les élections européennes.

A ces stupidités immédiates et concrètes s’ajoute une imbécillité majeure dont nous sommes accablés depuis des décennies. La dépense publique étant indispensable à la croissance et à la préservation d’un minimum de sécurité sociale, il est idiot de la réduire quand l’activité faiblit en provoquant de nouvelles misères. C’est d’autant plus idiot que la gouvernance macronienne doit soutenir les entreprises alors que la productivité horaire est en baisse pour des raisons qui tiennent à l’inefficacité du management, à l’externalisation de tâches sous-payées et mal exécutées et à la financiarisation des stratégies.

Incapable d’empêcher la désindustrialisation, cette gouvernance doit compenser les dégâts du néolibéralisme par des aides de toutes sortes pour empêcher les explosions sociales tout en s’efforçant de maintenir dans leur état, très dégradé, le système de santé, l’organisation judiciaire et les services de police. Dans tous les domaines, on s’efforce de gagner du temps, ou plus exactement d’en acheter, pour retarder les échéances. On réagit dans l’urgence aux pressions contradictoires des groupes sociaux, aux injonctions de Bruxelles, aux menaces des agences de notation, aux effets de l’ultra-concurrence. Au lieu de gouverner, on tente de sauver des apparences.

Pourtant, les doctrinaires du Figaro estiment que le plan de dix milliards est bien trop timoré. Agnès Verdier-Molinié, Bertille Bayard et Nicolas Baverez annoncent que nous allons nous fracasser sur le mur de la dette et réclament la réduction des dépenses sociales, de nouvelles privatisations et des économies sur les services publics. Nous avons souvent dénoncé les impostures du discours néolibéral sur la dette publique – que l’Etat fait perpétuellement rouler et dont il ne paie que les intérêts. Plutôt que de reprendre nos démonstrations, je veux souligner l’hypocrisie des extrémistes de la purge budgétaire, qui sont à mettre dans le même sac à malices que les prétendus sages de Bercy.

Les uns et les autres ont voulu le système aberrant qui nous conduit aux impasses qu’ils dénoncent. Ils ont voulu que l’Etat se finance sur les marchés. Ils ont récusé l’idée même de politique industrielle. Ils ont voulu la “monnaie unique” qui pénalise nos exportations. Ils ont voulu l’écrasement des salaires et la précarité. Ils ont voulu la baisse de la fiscalité sur les plus riches. Le résultat, c’est un mélange d’endettement, de bureaucratie engendrée par le “marché”, d’inefficacité entrepreneuriale, de soumission aux injonctions étrangères, d’auto-affaiblissement de l’Etat.

Les ultras du Figaro ne sont pas plus sincères que Bruno Le Maire quand ils plaident pour la rigueur. La croissance de la dette publique alimente la spéculation financière dont profitent leurs amis du monde des affaires. La financiarisation des objectifs entrepreneuriaux profite à leurs amis du haut patronat. De même qu’une politique fiscale qui prive l’Etat de ressources dont il aurait le plus grand besoin. C’est la défense du Capital qui est la raison inavouable de la déraison néolibérale.

Nous ne pouvons en rester à cet accablant constat. Nos propositions générales sur la reconquête de la souveraineté monétaire et sur la restructuration de l’économie nationale ne nous situent pas dans la logique du tout ou rien. Il est possible, aujourd’hui, de mettre au point un plan de rigueur de plusieurs dizaines de milliards par simple redéfinition de la politique fiscale selon le principe proclamé à l’article 13 de la Déclaration de 1789 : la “contribution commune (…) doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés”. Il est possible, par exemple, de soumettre à conditions les subventions colossales accordées aux entreprises et de rétablir l’impôt sur la fortune. Les fameuses “marges de manœuvre” existent. Elles sont même d’une largeur insoupçonnée.

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Article publié dans le numéro 1273 de « Royaliste » – 25 février 2024                  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 Commentaire

  1. Catoneo

    Faut-il redire, apparemment oui, que le service de le dette publique (que vous appelez « intérêts ») coûte dans les 50 milliards d’euros chaque année, peu ou prou l’équivalent du budget de la défense et pas loin de celui de l’éducation nationale. Une paille.