Les scandales qui touchent tour à tour les principaux partis politiques et le discrédit général qui les frappe ne sauraient faire oublier leur rôle, indispensable, dans notre système représentatif.

On peut regretter l’époque – celle de la Révolution – où les députés s’efforçaient de trouver l’expression d’une Volonté générale préexistante. On peut, comme nous, se souvenir avec faveur des Chambres qui voyaient dans la délibération le chemin vers l’intérêt général. Il faut cependant admettre que la représentation est conçue, au moins depuis la Libération, comme un ensemble conflictuel de partis s’efforçant de lier une pensée ou une idéologie, un projet politique à long terme et un programme d’action immédiate. Le tout étant présenté aux électeurs et permettant, ou non, des coalitions parlementaires (1).

Dès la IIIe, mais surtout sous la IV et au début de la Ve République, les Français ont connu des partis structurés, expression d’une tradition historique, qui assuraient la formation de leurs militants et une fraternité permettant, dans les formations de gauche, une intégration rapide des travailleurs immigrés. Tous ces partis permettaient, aux côtés des syndicats, d’établir une médiation entre le peuple et le pouvoir selon une relation, parfois intensément vécue, avec l’histoire. Admiré ou détesté, le Parti communiste fut longtemps regardé, non sans fascination, comme un modèle…

Depuis notre fondation en 1971, nous avons été les témoins de la crise des grands partis politiques. Nous avons vu mourir le radicalisme, assisté au déclin du Parti communiste, vu dépérir le Parti socialiste et les formations qui se réclamaient du gaullisme tandis que le national-populisme montait en puissance. Nos critiques des uns et des autres furent vives, parfois virulentes, mais généralement inspirées par le manque de cohérence entre le projet et le programme, dans des partis qui devenaient des écuries à présidentiables, livrées aux perversités de la Communication. Notre opposition résolue au Front national tenait à son discours ethniciste, qui niait la définition même de notre nation.

Dans le même temps – la fin du siècle dernier – les mouvements de la gauche extraparlementaire ne parvenaient pas à tenir leurs promesses révolutionnaires et, de l’autre côté, le Front national abandonnait la tradition des ligues d’extrême droite pour devenir de plus en plus nettement une formation à visées exclusivement électorales.

Somme toute, la crise des partis et des mouvements se traduisait de manière positive par une inscription résolue dans le cadre de la démocratie parlementaire. Mais il s’agissait, selon nous, d’une démocratie sous emprise oligarchique et d’une représentation nationale encore affaiblie par des partis peu consistants : à droite et à gauche, pensée déficiente, projet déliquescent et flou programmatique ! Le pire est venu avec Emmanuel Macron qui a créé, à la manière de Silvio Berlusconi, un parti-entreprise dévoué au chef charismatique et chargé d’appliquer, à l’Assemblée nationale, la ligne élyséenne sous l’égide d’un gouvernement soumis. Appuyé par une fraction de la bourgeoisie rentière et du capitalisme financier, sans ancrage dans les collectivités territoriales, ce parti-entreprise ne pouvait pas résister à une défaite, à la différence des partis historiques de la droite et de la gauche. D’où le spectacle donné à l’Assemblée nationale par les chefs de file de la défunte macronie: choc des ambitions, mots d’ordre irréfléchis, calculs médiocres dans l’oubli ou le mépris de celui qui les a fait accéder, brièvement, à l’existence.

La destinée dérisoire des structures macroniennes fait ressortir la nécessité, pour notre démocratie parlementaire, de partis politiques capables de “concourir à l’expression du suffrage” selon l’article 4 de la Constitution. Nous l’avons souvent dit : nos principaux partis sont issus de courants profonds et il importe qu’ils ressaisissent le fil de leur tradition dans son rapport avec l’histoire nationale pour proposer aux Français de nouveaux projets. La construction de l’avenir commun exige de vastes débats entre la gauche social-démocrate, les communistes, une démocratie chrétienne qui parviendrait à se retrouver et une droite libérale qui sera probablement récupérée par le Rassemblement national – l’écologie étant une injonction transpartisane.

La renaissance des partis implique, pour chacun d’entre eux, une longue réflexion critique nourrie par le débat interne et sans cesse enrichie par les savoirs universitaires – nous avons d’ailleurs quelque expérience en ce domaine. De très nombreux citoyens, qui pour le moment s’informent et débattent sur les réseaux sociaux, pourraient à nouveau s’intéresser à la vie partisane et souhaiter y participer, s’ils constataient à nouveau une cohérence entre la pensée, le projet, et le programme des partis en compétition.

Cette renaissance suppose toutefois la démonstration préalable d’un dévouement au bien public qui implique la libération des fausses contraintes extérieures.

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1/ Cf. Benjamin Morel, Le Parlement, temple de la République, Passés/Composés, 2024, et la conférence de l’auteur sur notre chaîne YouTube.

Editorial du numéro 1288 de « Royaliste » – 17 novembre 2024

 

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