Allemagne : Brefs éclats de lumière – Chronique 181

Oct 30, 2022 | Union européenne | 2 commentaires

 

Ces temps-ci, il n’est pas inutile de s’intéresser aux propos de Nicolas Baverez, intellectuel typique de l’élite qui, comme on dit dans les médias, coche toutes les cases de la respectabilité néolibérale. Devenu avocat d’affaires après un bref passage à la Cour des Comptes, l’homme est membre du comité directeur de l’Institut Montaigne, occupe les mêmes fonctions aux conférences Bilderberg, publie des essais et de nombreux articles dans Le Figaro et le Point.

Ce brillant parcours médiatique le désigne à Paris comme référence. Je le prends simplement comme symptôme des états d’âme de la classe dirigeante, dont il défend les intérêts avec d’autant plus d’insistance que sa propre carrière en dépend. Adversaire banal de l’intervention de l’Etat dans l’économie, Nicolas Baverez défend les subventions massives au secteur privé, les réformes anti-sociales et la réduction des dépenses publiques tout en dénonçant d’un air pincé les progrès d’un populisme qui est la conséquence des prescriptions néolibérales qu’il préconise.

Ce conformiste élégant et disert ne vaudrait pas une minute d’attention si la lanterne de Nicolas Baverez n’avait pas jeté, voici peu, quelques lueurs sur la politique allemande. Longtemps, l’éminent chroniqueur du Figaro avait tenu ses lecteurs informés de l’admiration qu’il portait à notre voisin. Il avait loué le leadership de l’Union européenne qu’aurait exercé Angela Merkel (1) après lui avoir reproché son immobilisme (2). Puis il a célébré le nouveau chancelier allemand en souhaitant que la France en vienne à imiter le “courage” d’Olaf Scholz (3).

En cette fin d’année, le ton a changé. “Feu le couple franco-allemand”, ose titrer Nicolas Baverez dans Le Figaro du 24 octobre qui révèle à ses lecteurs que “le couple franco-allemand relève largement du mythe” (4) et que l’Allemagne n’hésite pas à exercer sa souveraineté : “C’est ainsi qu’elle fit financer sa réunification par ses partenaires à travers les taux d’intérêt élevés des années 1990, qu’elle restaura la puissance de son industrie grâce à la dévaluation compétitive réalisée par l’Agenda 2010, qu’elle configura le marché européen de l’énergie pour accompagner sa sortie du nucléaire, qu’elle ouvrit les frontières de l’Union aux migrants pour résoudre son déficit de main-d’œuvre, qu’elle exporta le « Dieselgate » de Volkswagen à l’ensemble de l’industrie automobile européenne, qu’elle prit le contrôle de la politique européenne de l’espace”.

Trésorier de la société des amis de Raymond Aron, Nicolas Baverez ressemble à son maître, connu pour avoir régulièrement tiré des conclusions fausses d’analyses pertinentes. Ainsi la conclusion de l’article précité : “Le fossé qui se creuse entre la France et l’Allemagne menace de ruiner la cathédrale européenne. Elle peut encore être sauvée mais à trois conditions : le redressement de la France indissociable de la défense de ses intérêts en Europe ; la remise en question par l’Allemagne de son modèle mercantiliste ; la construction d’une Union politique qui articule souveraineté nationale et souveraineté européenne”.

Passons sur la prétendue “cathédrale européenne”, qui se réduit à un empilage désordonné d’organes non-démocratiques. Après avoir promené sa lanterne sur quelques réalités, Nicolas Baverez retourne à ses obscurités dans une conclusion bâclée :

Il appelle “redressement” le durcissement de recettes néolibérales qui sont la cause première du malheur français.

Il semble ne pas comprendre que la remise en question du mercantilisme allemand se fera selon les intérêts de l’Allemagne.

Quant à l’union politique rêvée, on ne voit pas comment elle pourrait articuler des souverainetés nationales effectives et une “souveraineté européenne” qui relève de la farce conceptuelle.

***

(1) Le Figaro, 4 janvier 2021 : “Union européenne : carton plein pour la présidence allemande”.

(2) Le Figaro, 24 février 2020 : “L’Allemagne doit ouvrir les yeux”.

(3) “Olaf Scholz a fixé le cap de son futur gouvernement dans ces termes : « Dans un moment où il y a tant d’inquiétude, de peur et d’incertitude, il est important d’envoyer un signal de courage et de confiance. » Le courage et la confiance sont les qualités du leadership indispensable pour sortir les nations démocratiques et l’Europe de la crise existentielle qu’elles traversent. Souhaitons qu’ils finissent un jour par franchir le Rhin”. Le Figaro, 28 novembre 2021.

(4) Lire ou relire l’ouvrage de Coralie Delaume, Le couple franco-allemand n’existe pas, Michalon, octobre 2018.

 

 

Partagez

2 Commentaires

  1. Catoneo

    Je serais moins sévère que vous à l’endroit de N. Baverez parce que l’audimat du gouvernement français est en train de disparaître dans la zone euro justement par sa propre gabegie, depuis qu’il est acté que, dans l’incapacité de réformer son modèle social clientéliste, la France lèvera 270 milliards de dette en 2023. Le plus beau pays du monde et celui disposant d’atouts naturels incomparables est géré comme une république tropicale. Va-t-elle demander son adhésion à l’Union africaine ?

    Les rodomontades de M. Macron, qui se cherche un emploi de leader de l’Europe continentale en tous domaines (il suffit de l’entendre égrener les chapitres de ses conférences de presse) n’impressionnent plus ses homologues. Olaf Scholz a-t-il dit clairement à son hôte de l’Elysée qu’il avait des choses plus sérieuses à faire que de perdre du temps en conseil des ministres spectacle pour sortir ensuite un communiqué à la gloire de la politique européenne de la France ? Il semblerait qu’il agisse maintenant comme s’il l’avait dit, et prenne son avion pour Pékin le 3 novembre afin de lancer le cycle 2023 de consultations intergouvernementales sino-allemandes entre gens sérieux. A noter que le chancelier a refusé le communiqué final préparé à l’Elysée.
    Les grosses boîtes allemandes n’ont cessé d’investir en Chine populaire pendant la crise et la Cosco est entré dans le port de Hambourg. Qui, en Allemagne, s’intéresse encore aux lubies européennes de M. Macron ?