France. L’aventure de la détestation – par David Langlois-Mallet

Avr 29, 2023 | Billet invité | 1 commentaire

 

La réforme des retraites a pris un tour nouveau. D’un mouvement social contre un projet, la France glisse doucement vers une révolte politique contre un individu.

Avec l’inquiétant isolement qui caractérise sa psychologie, Emmanuel Macron a prévenu les Français d’un ultimatum à 100 jours, sans que l’on sache précisément la décision, ou la menace, que cela recouvre. Et après ? Peut-on savoir quelle est la suite prévue ? Pour la « crise des Gilets-Jaunes », les éditorialistes du système avaient loué sa « baraka » devant Notre-Dame s’enflammant en torche une heure avant une prise de parole élyséenne qui s’annonçait impossible. On s’inquiète de savoir quelle sera sa « chance », censée faire notre malheur, avant son allocution le 14 juillet.

 

Les Français de leur côté, ont prévu d’être imprévisibles. Lucides, ils savaient (cela a beaucoup été dit, mais interprété, bizarrement, comme un défaitisme), en s’engageant dans la contestation que celle-ci ne ferait pas fléchir ce pouvoir. Ils y allaient donc, tranquillou, une manif sur deux, comme une équipe de foot en phase de qualif’… pour le deuxième tour.

C’est dire s’ils se sont préparés à ce qui suit, une explication en tête à tête avec l’individu Macron. La redécouverte des concerts de casseroles, un peu comme la trouvaille qu’avait été en son temps l’utilisation des gilets-jaunes détournés de leur fonction routière, mais adaptés à l’alerte sociale, signe cette deuxième mi-temps prometteuse. Elles ont fait déjouer leur adversaire, disjoncter même, puisque dès la première journée de déplacement, « sa Hautuur » s’est fendue d’interdictions grotesques contre « les dispositifs sonores portatifs », qui actent d’une défaite. Par ridicule, qui tue comme l’on sait bien.

 

Quelle crédibilité peut avoir un homme d’Etat en échec économique, social, démocratique, moral, déjà contraint d’annuler la première visite, prestigieuse de Charles III, de peur de sa rue et de ses casseroles ? Le tout au moment d’une grande révolte des pays non-occidentaux contre l’ordre mondial et alors qu’il se prétend porteur de la parole du pays des Libertés et des Droits de l’Homme ? Ses homologues, voient, amusés, son arrogance, contrainte de reculer les limites de sa propre démocratie de peur des bruits de cuisine. Les victoires même d’Emmanuel Macron signent ses défaites.

 

C’est que dans cette lutte, aucun camp ne veut de compromis, Macron, comme les Français, cherche l’échec et mat, voir la mise à mort. Macron veut cette casse des retraites, non pas pour ses économies négligeables, mais comme un acte de renaissance personnel. Son moment thatchérien. Sa grève des mineurs à lui. La clef de bras sociale à partir de laquelle il pourrait enfin dérouler son « prooooojjjeeetttt » d’adolescent ultralibéral, entravé une première fois par les Gilets-Jaunes, puis retardé par le Covid, la Guerre en Ukraine…

Les Français eux, donnent l’impression de vouloir boucler une brumeuse séquence de réveil, de désaoûlement du néolibéralisme, ouverte il y a presque vingt ans, lors du référendum de 2005. Une très lente maturation, dans laquelle il est question de vie de mort aussi. A la question « approuvez-vous… » ce qui était apparu comme un genou à terre devant l’ordre global libéral et le renoncement à la nation au profit d’un régime supranational, de droite ou de gauche, ils avaient alors répondu, « Non ».

Sans doute s’étaient-ils eux-mêmes contredits en envoyant le funeste Sarkozy, dit l’Américain, à l’Elysée. Ils n’avaient pas alors non seulement dû avaler de travers l’abandon de la souveraineté économique à Bruxelles, mais en prime l’abandon de la souveraineté internationale à Washington, avec l’entrée dans l’OTAN. A cette casse sociale et politique — le rôle du président devenant aussi illusoire que celui du parlement — de souveraineté et d’indépendance, véritable liquidation de l’héritage gaulliste, n’avait répondu que l’alternance de l’élection du mol Hollande (dont le nom était tout un programme pâteux) qui pouvait se résumer au message « il n’y a pas d’alternative à la seule politique possible ». Laissant deux fractions du peuple très en colère mais séparées, au RN et à la FI ; devant la réunification des deux votes immobilistes bourgeois, de droite et de gauche, dans le « en même temps » macroniste.

Nous voilà donc, casseroles en main, au bout du chemin des trois piteux, des trois plus lamentables chefs d’Etat que la France ait connus. Notre industrie a été méticuleusement détruite, notre économie avec, l’agriculture se prépare, sans paysans, sur un sol défertilisé, tué à force d’engrais, à accueillir la pénurie d’eau et le bouleversement climatique.

Que l’on regarde de près les crèches ou les écoles, les hôpitaux ou les maisons de retraite, tout n’est que maltraitance des personnels, voire des vieux ou des petits. Les infrastructures sont vieillissantes, mal entretenues et pourtant l’Etat continue à artificialiser les sols au prétextes de grands projets inutiles, bassines ou A69. La démocratie est en lambeau et il ne reste aux Français qu’une dette gigantesque sur laquelle se pavane une technocratie de petits marquis qui se vote à elle-même tous les privilèges et tous les passe-droits et exempte une hyper-classe occupée à ses projets d’évasions, fiscales ou spatiales, de toute responsabilité et de tout lien avec la réalité du commun des mortels.

 

C’est sur ce terrain miné, explosif, qu’entre une guerre et un effondrement global, un jeune chef d’Etat d’un régime hybride de démocratie autoritaire, joue à défier, narguer, un vieux peuple guerrier amolli, mais bouillant de rage impuissante.

 

Un peuple manipulable par sa disponibilité à la croyance monarchique dans le bon roi, dans le sauveur et la femme providentielle et qui met bien du temps à comprendre que son appauvrissement et le chaos ne sont pas un fruit de « pas de chance », mais le « prroooooojjetttt » lui-même, voulu d’en-haut, dans un seul but. Faire gagner du temps avant l’effondrement climatique à l’hyper-classe dont il n’est — devant faire ses preuves et attendant de nouvelles fonctions — chez Rothschild, comme à l’Elysée, que l’employé. Que l’un des trois tristes, pitoyables, méprisables, employés successifs.

 

David LANGLOIS-MALLET

 

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1 Commentaire

  1. Cording1

    Un léger désaccord avec l’auteur du billet invité quand il emploi l’adjectif « immobilistes » dans « devant la réunification des deux votes immobilistes bourgeois, de droite et de gauche, dans le « en même temps » macroniste ».
    Il s’agit de réformer le pays donc de bouger mais dans un sens précis d’opérer des « réformes » d’inspiration néolibérales qui sont en fait des régressions sociales eu égard au pacte républicain. Plus précisément pour Macron comme ses prédécesseurs il s’agit selon la déclaration en octobre 2007 au magazine « Challenges » de Denis Kessler l’ex-numéro 2 du MEDEF du temps de Seillières « de détruire méthodiquement le programme du CNR ».

    En outre on peut se fier à Macron quand il publiait en 2017 pour sa première candidature un livre intitulé « Révolution ». Il s’agissait de libérer l’individu de tout ce qui l’entrave dans sa complète liberté notamment de tout système de protection sociale face à une économie censée être bienfaisante parce que libérale mais en réalité d’une violence sociale inouïe.