Sauvons l’hôpital public ! Entretien avec André Grimaldi

Juin 19, 2023 | Res Publica

Professeur émérite de diabétologie au CHU Pitié-Salpêtrière et cofondateur du Collectif Inter-Hôpitaux, André Grimaldi a récemment publié aux éditions Odile Jacob un ouvrage préfacé par Alain Supiot : L’hôpital nous a sauvé, Sauvons-le ! Voici son diagnostic et ses propositions.

 

 

Royaliste : On parle d’une crise du système de santé mais vous dites qu’il s’agit plutôt d’une maladie chronique. Il faut donc établir un diagnostic et indiquer un traitement…

André Grimaldi : Pour le diagnostic, il faut remonter à la création de la Sécurité sociale. En 1945, on a créé un système mixte public-privé au nom de l’union nationale pour reconstruire le pays. Tout va être mixte : le financement est assuré par la Sécurité sociale mais dès 1946 on concède à la Mutualité un ticket modérateur de 20%. Donc il y aura une double gestion pour le même soin. En 1947, une loi Morice permet aux mutuelles de fonctionnaires de gérer l’assurance-maladie et interdit à la Sécu de créer une mutuelle. La prestation est également mixte : il y a les hôpitaux publics et les dispensaires municipaux qui relèvent de la puissance publique et il y a la médecine libérale. La gestion est mixte : la médecine de ville, libérale, est gérée par des conventions entre la Sécu et les syndicats des professionnels libéraux. Le premier conventionnement national n’est signé qu’en 1971. L’hôpital est géré par l’Etat. Nous avons donc un système de soins mixte qui n’est pas un système de santé (on ne s’occupe pas de la prévention) et qui n’est pas régulé.

Royaliste : Comment procède-t-on au Royaume-Uni ?

André Grimaldi : En Angleterre, à la suite du rapport Beveridge, c’est un système universel étatique qui est fondé sur l’impôt. En 1944, le CNR est plutôt sur cette ligne puisqu’il affirme que chaque citoyen doit pouvoir assurer sa survie et celle de sa famille lorsqu’il est malade. En 1945, on institue un système qui n’est pas universel puisqu’il concerne chaque travailleur. Il faut attendre la CMU en 2000 pour que le système français devienne universel ! Il y a deux aspects progressistes dans le système français établi en 1945 : d’abord, les recettes sont dédiées ce qui signifie que l’Etat ne peut pas s’en emparer. Ce principe a été détruit par la majorité qui a aboli la loi Veil qui stipulait que lorsque le gouvernement décide des exonérations de cotisations sociales il doit rembourser intégralement la Sécu. Le deuxième principe était celui de la gestion par les organisations syndicales.

Aux Etats-Unis, le système est très libéral, à base d’assurances privées, sauf pour les vieux (Medicare) et les pauvres (Medicaid).

En termes de PIB, les Anglais dépensent 9,5% pour la santé ; en France, c’est 9% pour le public et 3% pour le privé. Aux Etats-Unis, c’est 8% pour le public et 9% de privé, soit 17% du PIB avec une santé publique médiocre.

Somme toute, notre système mixte a été l’un des meilleurs au monde quand le problème était celui de la maladie aigüe. Nous restons très bons pour traiter l’infarctus du myocarde, par exemple, mais en matière de maladies chroniques et de santé publique nous sommes historiquement très mauvais – qu’il s’agisse des inégalités sociales de santé ou de la mortalité évitable avant 60 ans.

Royaliste : Quel jugement portez-vous sur la réforme des hôpitaux en 1958 ?

André Grimaldi : Elle se fait dans la foulée du CNR sous l’égide de Robert Debré, gaulliste, qui a été rejoint par de jeunes médecins progressistes mendésistes. La réforme de 1958 instaure le plein-temps hospitalier, fait entrer à l’hôpital la biologie qui est la discipline phare et humanise les hôpitaux en supprimant progressivement les salles communes.

Cette réforme rencontre une opposition farouche : l’Académie de médecine est hostile de même que l’ensemble des syndicats. La réforme passe par voie d’ordonnance mais Robert Debré est obligé de concéder le privé à l’hôpital, à titre transitoire pense-t-il.

Royaliste : Comment le système de soins est-il financé ?

André Grimaldi : Notre système mixte n’était pas régulé. Les dépenses augmentaient de 5 à 7% par an mais la baisse de la croissance après le choc pétrolier de 1973 pose un problème de financement des dépenses de santé. Or celles-ci continuent d’augmenter en raison du progrès médical, du vieillissement de la population, du développement des maladies chroniques. On décide donc de réguler. En ce domaine, on peut procéder de trois manières :

  • Par l’éthique médicale, qui consiste à faire ce qui est nécessaire au moindre coût….
  • Par le marché : on demande aux gens de payer pour leur santé, ce qui crée des inégalités comme on l’a vu avec les franchises qui poussent les plus pauvres à réduire les soins dont ils ont besoin.
  • Par l’Etat qui va diminuer l’offre de soins. L’idée fait consensus dans les années 1970 : tous les économistes, tous les politiques, tous les milieux professionnels sont d’accord pour affirmer que, dans le domaine de la santé, c’est l’offre qui crée la demande. Autrement dit, c’est le médecin qui crée le malade ! Donc, s’il y a moins de médecins, il y aura moins de malades ! Ce n’est pas totalement faux car il y a inflation de prescriptions, même quand le patient n’a rien ou pas grand-chose. On est donc passé de 8 500 médecins formés par an en 1971 à 3 500 en1998. On comprime les prix, Pierre Bérégovoy crée un budget global pour l’hôpital puis Alain Juppé crée un budget global pour les dépenses de maladie (l’ONDAM). Et on a aussi, en même temps, recours à la logique de marché en créant en 1980 le secteur 2 autorisant les dépassements d’honoraires, en créant le forfait hospitalier, qui atteint maintenant 25 euros par jour.

Royaliste : En 2000, on assiste à un grand tournant…

André Grimaldi : Ce tournant est double. Le premier consiste à dire que la médecine devient industrielle. Par conséquent, le médecin est désormais un ingénieur et l’hôpital une entreprise. Dans le même temps, le néolibéralisme impose au secteur public la gestion privée, qui cherche la rentabilité. Il ne faut pas que le soin soit « rentable » pour la société mais qu’il soit rentable financièrement pour l’établissement hospitalier. La loi Bachelot s’inspire du vocabulaire de l’entreprise et après 2009 les gestionnaires du privé peuvent devenir directeurs d’hôpital.

L’idée générale est que la concurrence libre et non faussée permet d’obtenir la meilleure qualité au plus bas coût. Il faut donc que les cliniques et les hôpitaux soient mis en concurrence sur les tarifs.

Or cette logique concurrentielle ne marche pas pour deux raisons. La première, c’est que la logique industrielle ne peut être appliquée qu’à une partie de la médecine standardisée, programmée, comme la chirurgie ambulatoire, mais ni aux maladies chroniques qui nécessitent une prise en charge biomédicale mai aussi psychologique, sociale et culturelle ni à la psychiatrie qui exige une individualisation complète. Or, dans notre pays, 24 millions de patients ont une maladie chronique.

La deuxième raison, c’est le symptôme commun à tous les malades : l’angoisse ! Le malade angoissé est un sujet manipulable et c’est pourquoi nous prêtons serment de ne pas abuser de cette asymétrie émotionnelle. Le patient croit que si c’est cher, c’est que cela doit être mieux, ce qui n’est pas vrai. En santé la concurrence, au lieu de faire baisser les prix, les fait monter comme on le voit avec les assurances complémentaires.

Royaliste : Vous avez constaté les effets désastreux de la crise de 2008…

André Grimaldi :  Cette crise conduit le gouvernement à réduire la dépense publique en commençant par les dépenses de santé. Comment faire ? On peut réduire le tarif des consultations mais cela conduit à réduire le temps de consultation et à allonger les ordonnances – telle est la logique du paiement à l’acte, qui, pendant la pandémie, conduisit à payer les médecins à l’injection unitaire de vaccin et non à la vacation.

On a donc fait des économies sur l’hôpital par diverses méthodes qui ont conduit les directeurs d’hôpitaux à réduire les investissements et à augmenter l’activité des services sans augmenter le personnel. C’est ainsi que la France s’est retrouvée en 27ème position sur 32 pays pour le salaire des infirmières. Puis le système du « toujours plus avec toujours moins » a cassé. En 2017, l’activité s’est réduite mais Marisol Touraine a continué à diminuer les tarifs de paiement des hôpitaux par la Sécurité sociale. L’activité a continué à baisser en 2018 mais Edouard Philippe a décidé une nouvelle baisse des tarifs de 0.5% …Ils n’ont été rehaussés de 0.2% qu’en 2019.

Somme toute, nous avons un système désintégré entre la ville et l’hôpital entre médecins et paramédicaux, entre spécialistes et généralistes qui ne répond pas aux maladies chroniques, aux urgences, aux inégalités sociales de santé et à la santé publique. Ce sont les systèmes intégrés ville-hôpital qui donnent de bons résultats. Quant au système anglais, il est sous contrainte budgétaire et chaque Premier ministre doit promettre de dépenser plus pour la santé.

Royaliste : Quelles solutions préconisez-vous ?

André Grimaldi : Il faut d’abord appliquer la règle éthique du « juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité », bien sûr pourchasser les fraudes à la Sécu, dues pour les trois quarts aux professionnels et aux entrepreneurs. Mais il faut surtout réduire les 20 à 30% de prescriptions injustifiées grâce à une vraie politique portant sur la pertinence des prescriptions et des actes à partir de bases de données fiables. Il faut revoir le système des prix de l’industrie pharmaceutique qui ne sont pas calculés selon les coûts de recherche et développement mais selon le service médical rendu – ce qui peut augmenter considérablement le prix des médicaments, peu chers à produire mais très efficaces. Combien aurait-il fallu payer le vaccin contre la poliomyélite ?

Il faut passer à la Grande Sécu en intégrant les mutuelles dans la Sécurité sociale et économiser ainsi plus de 7 milliards de frais de gestion inutiles.

Quant au financement des établissements et des professionnels, il faut passer de la T2A et du paiement à l’acte à la dotation annuelle ou la capitation aux moins pour les maladies chroniques. Ensuite, la médecine moderne se fait en équipe pluriprofessionnelle : médecins, infirmières, paramédicaux, travaillant dans des maisons médicales pluriprofessionnelles ou dans des centres de santé … Il faut dans les déserts médicaux que la puissance publique crée des centres publics de santé, liés à l’hôpital, afin que se développe une médecine communautaire réunissant ceux qui soignent, les patients et les acteurs sociaux.

Pendant la crise sanitaire, nous avons vu fonctionner un vrai service public de santé : solidarité des soignants, hiérarchie de compétences, Sécu à 100%, pharmaciens mobilisés et tous au service des patients. C’est le service public que nous voulons !

Mais peut-on avoir des services publics si les valeurs publiques ne sont pas celles de la société ?

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Propos recueillis par Bertrand Renouvin et publiés dans le numéro 1259 de « Royaliste » – 17 juin 2023

 

 

 

 

 

 

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