« Tant qu’on est trompé par l’utilité du mensonge de la guerre il n’y a pas de paix ; il n’y a que des intervalles troubles dans la succession des guerres (Jean Giono, 1938). L’actualité internationale s’emballe. Nous vivons une accélération de l’Histoire. Les mots guerre et paix retrouvent leur place dans le registre lexical des dirigeants de la planète. Dans cette époque de tempête, que fait Emmanuel Macron pour relever les multiples défis que doit relever notre pays dans le concert des nations ? Le moins que l’on soit autorisé à dire est que le plus jeune et plus intrépide président de la Cinquième République est très souvent à contre-emploi sur la scène internationale. Pendant que Jupiter s’agite dans tous les sens pour démontrer qu’il existe (je communique donc je suis), y compris en jouant les va-t-en guerre, les deux Grands s’activent dans les secrets des antichambres de la diplomatie en jouant la partition des va-t-en paix (ils explorent les difficiles et tortueux chemins de la paix).

Pendant qu’Emmanuel Macron s’agite …

Alors que la dette française atteint un nouveau sommet en 2024 (3305 milliards d’euros, 113% du PIB), Emmanuel Macron annonce généreusement l’octroi d’un soutien militaire à l’Ukraine de deux milliards d’euros.

Alors que les choses sérieuses se passent à Riyad, à Moscou ou à Istanbul, entre Américains et Russes, Emmanuel Macron organise, le 27 mars 2025 à Paris, un énième sommet pour « Bâtir une paix solide pour l’Ukraine et l’Europe » (rien de moins), dont les résultats sont incertains, « happening » au cours duquel il joue le rôle de vedette américaine. Alors que notre bravache star du monde diplomatique annonce fièrement la création d’une « force de réassurance », à ossature franco-britannique et à trois composantes (air, terre, mer), déployée en Ukraine en des points stratégiques pour dissuader la Russie de toutes nouvelles velléités en Ukraine[1], Moscou réitère son opposition à tout déploiement de troupes de pays membres de l’OTAN.

Alors que l’insécurité progresse en France (Cf. celle liées en particulier aux activités florissantes du narcotrafic), le président solitaire chapitre régulièrement Donald Trump, Vladimir Poutine et Benjamin Netanyahou … au lieu d’organiser une grande conférence sur cette thématique. Alors que l’on assiste pour la première fois – à notre connaissance – à une succession de manifestations hostiles au Hamas à Gaza, notre fringant inspecteur général des Finances se rend au Caire pour y rencontrer ses homologues égyptien et jordanien (7-8 avril 2025) pour participer à un sommet trilatéral consacré à l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza et au futur de l’enclave sans le Hamas au titre de sa diplomatie spectacle. Pendant ce temps, Donald Trump reçoit le premier ministre israélien à la Maison Blanche. Plus tard, il annonce son intention de reconnaître l’État de Palestine afin de créer un mouvement. Même en cherchant bien, on peine à découvrir les linéaments d’une politique étrangère de la France au Moyen-Orient.

Alors que la faim progresse en France, Emmanuel Macron marque un point d’honneur à organiser à Paris un sommet international pour lutter contre la malnutrition. Alors que l’instabilité politique ne cesse de croître dans l’Hexagone depuis sa dissolution ratée, le président « disrupteur » ne cesse de donner des leçons d’état de droit et de démocratie à tous les autocrates de la planète sauf au président algérien. Ce dernier ajoute humiliations aux humiliations sans qu’Emmanuel Macron n’en prenne la mesure et adopte les mesures appropriées pour faire cesser le chantage d’Alger.

Alors que la France a besoin de calme, de paix, de tranquillité, le chef de l’État décrète que nous sommes confrontés à la « menace existentielle » russe exigeant la fourniture de kits de survie à tous les citoyens. Il réitère le chantage à la peur qui a parfaitement réussi dans la lutte contre le Covid-19.

Alors que le gouvernement de François Bayrou tente de sauver les meubles après les Cent jours et doit affronter les remous consécutifs au jugement du 31 mars 2025 prononçant l’inéligibilité de Marine Le Pen, Emmanuel Macron joue les fiers-à-bras sur le théâtre comique de ses ambitions démesurées…

Alors que les choses importantes se passent derrière son dos et dans la plus grande discrétion, Emmanuel Macron excelle dans sa posture favorite, celle du vibrion omniprésent sur la scène médiatique.

Ainsi va la France éternelle au temps de la présidence empreinte de magnificence et de munificence d’Emmanuel Macron ! La politique de l’autruche connaît vite ses limites surtout si d’autres que nous prennent à bras le corps les destinées du monde du XXIe siècle aussi dangereux qu’imprévisible. Place aux Grands de l’époque révolue de la Guerre froide. Exit les stars de pacotille et de plateaux de télévision.

… Les Grands s’activent

Des constats objectifs s’imposent à tout observateur objectif des relations internationales en cette année 2025.

L’avenir de l’Ukraine ne se décide ni à Paris ni à Londres (deux puissances nucléaires qui organisent à jet continu des conférences de volontaires à l’issue aussi « brumeuse » que le brouillard londonien) et, encore moins, à Bruxelles (Union européenne) ou à Vienne (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Il se négocie aujourd’hui à Moscou, Washington et à Riyad, voire à Istanbul[2], en dehors du continent européen.

L’avenir de la sécurité en Europe – la fameuse architecture de confiance et de sécurité chère à la Russie de Vladimir Poutine – ne se discute ni à l’OSCE, ni entre les capitales européennes associées à Washington et à Ottawa comme au bon vieux temps de la Guerre froide (accords d’Helsinki et nombreux traités de désarmement bilatéraux et multilatéraux) mais entre Américains et Russes quoi qu’en disent Emmanuel Macron et ses thuriféraires.

L’avenir de la Palestine ne se décide ni à Paris, ni à Bruxelles ou à New York mais à Washington, Tel-Aviv, à Amman et au Caire. Donald Trump tente de faire avancer les choses en faisant pression sur Téhéran, acteur important dans la zone, employant la bonne vieille technique de la carotte et du bâton. Des discussions bilatérales sur le problème nucléaire se tiennent en Oman. La France, elle, ne parvient pas à faire libérer ses otages des prisons iraniennes. Elle reste silencieuse. Emmanuel Macron s’agite au Caire pour prouver qu’il existe sur le dossier palestinien[3] mais nul ne sait quel est son cap pérenne et sa boussole pour temps mauvais ?

L’avenir du multilatéralisme, bien mal en point, ne se décide ni à New York, Genève, Paris ou Bruxelles mais à Washington, à Moscou et à Pékin. Une sorte de remake de la conférence de Yalta de février 1945 sans les Britanniques.

L’avenir des relations commerciales ne se traite plus au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sise à Genève mais dans le bureau ovale de la Maison Blanche qui multiplie les Oukases par l’introduction de nouveaux droits de douanes sur les produits importés (acier, automobile, vins et spiritueux …) d’Europe, de Chine et d’ailleurs Les réactions des Européens, Emmanuel Macron l’Européen en tête de gondole restent encore timorées tant les États membres sont divisés sur le sujet, certains craignant les foudres de l’Oncle Sam. Ils réunissent les ministres concernés avec retard et sans feuille de route précise. Emmanuel Macron rencontre les chefs d’entreprises français et bande ses muscles. Nous allons voir ce que nous allons voir.

L’avenir de l’aide publique au développement ne se décide plus à l’ONU mais encore à Washington (suppression de l’USAID et des enveloppes destinées aux pays émergents critiques de la politique américaine), laissant Emmanuel Macron et son administration sans voix. Et cela même alors que cette question aurait dû donner lieu, depuis belle lurette, à un audit objectif pour mesurer les résultats concrets des milliards déversés depuis des décennies dans ces pays aux régimes souvent corrompus. L’on nous promet un audit sur le sujet de l’APD. Et, cette liste est loin d’être exhaustive.

Le résultat de ce gâchis diplomatique jupitérien est devant nous : une action internationale de la France discréditée, disqualifiée durablement[4]. Paris ne joue plus dans la cour des grands son rôle de puissance moyenne d’équilibre. Bravo l’artiste !

Le risque du discrédit

« Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte » (Jean de la Fontaine). C’est bien ce que l’on peut reprocher au président de la République dans sa pratique diplomatique. Lorsqu’il entame son premier mandat présidentiel, en mai 2017, Emmanuel Macron possède de nombreux atouts dans sa manche internationale : jeunesse insolente ; regard neuf sur un monde en plein bouleversement ; maîtrise des rouages de la haute fonction publique et de la fonction ministérielle ; connaissance du monde anglo-saxon ; engagement européen assumé et assuré ; relation fluide avec Donald Trump et Vladimir Poutine… Mais, tel un mauvais garnement, il dilapide ce précieux capital par un activisme débridé ; une hyper-communication ; un mépris de son corps diplomatique dissous par le fait du Prince ; des mots malheureux (« l’OTAN en état de mort cérébrale », « le président est allé réparer la climatisation » …), des changements de pied incessants …  Et pendant ce temps-là … le monde poursuit son petit bonhomme de chemin.

Jean DASPRY

(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques)

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

 

[1] J. C., Une armada européenne sur le sol ukrainien ?, Le Canard enchaîné, 9 avril 2025, p. 3.

[2] Marie Jégo, À Istanbul, l’amorce d’un dégel des relations américano-russes, Le Monde, 12 avril 2025, p. 4.

[3] Philippe Ricard, Macron cherche à se rapprocher des pays arabes, Le Monde, 9 avril 2025, p. 3.

[4] Éditorial, Entre Paris et Alger, une accalmie bienvenue mais fragile, Le Monde, 9 avril 2025, p. 30.