Un monde bouleversé
Les bouleversements que nous connaissons et que nous allons connaître sont d’une ampleur inédite en raison de la conjonction, sur une courte période, de cinq facteurs de crise :
Le changement climatique, désormais incontrôlable ;
La mutation du capitalisme néolibéral monopoliste, prédateur et rentier ;
Le développement rapide de l’Intelligence artificielle qui va provoquer des destructions et des recompositions dans de nombreux domaines d’activité ;
La réorganisation du continent européen en fonction du règlement, encore problématique, de la guerre d’Ukraine ;
La brutalité de la nouvelle offensive protectionniste des États-Unis et ses conséquences incalculables sur le jeu des puissances et sur les puissances elles-mêmes, au nord comme au sud.
Mon évocation de ces événements est schématique, mais nous avons commencé de les préciser et nous allons continuer ce travail en soulignant un sixième facteur de crise : il y a une intelligence collective des évolutions historiques, qui offre ses résultats à un large public par le biais des publications et des réseaux sociaux, mais qui n’atteint pas les élites ouest-européennes du pouvoir, des affaires et des grands médias. Les échos qui parviennent des milieux dirigeants de notre pays indiquent que les élites en place ne remplissent plus du tout leur fonction. Au lieu de donner sens aux événements, elles les subissent dans l’incompréhension, le déni et les opérations de diversion selon les techniques éculées de la communication. Plus ou moins clairement, elles attendent le retour à la normale en faisant campagne contre Vladimir Poutine et Donald Trump : dénoncer les maladies ou la folie de ces dirigeants, c’est croire que ces personnages déviants ne sont que des accidents voués à disparaître après élimination physique ou politique.
Proposer ce type d’explication psychopathologique, parfois assortie de la dénonciation d’une tare idéologique – l’internationale réactionnaire -, c’est perdre de vue le point capital, qui est d’ordre politique : Donald Trump, Vladimir Poutine et Xi Jinping sont des chefs d’Etat, qui se sont fixés des objectifs stratégiques, en fonction desquels ils mobilisent de vastes appareils gouvernementaux, administratifs, militaires et économiques. En face, les milieux dirigeants dissertent sur l’unité d’action d’une Union européenne conçue selon des traités relatifs à un “marché unique” ouvert à la concurrence mondiale, à une “monnaie unique” et des organes d’apparence démocratique. La lenteur des procédures et la complexité des compromis entre les intérêts nationaux plus ou moins fermement défendus condamnent l’Union européenne à des réactions tardives, inspirées par les groupes de pression et les préjugés idéologiques. Or les récentes initiatives diplomatiques et commerciales des Etats-Unis compromettent au plus haut point la “solidarité atlantique” et détruisent l’utopie du libre-échange mondialisé. Les gens de Bruxelles n’ont jamais voulu admettre que les Etats-Unis ont toujours conçu l’Alliance atlantique comme une relation entre une puissance impériale, des alliés soumis et des clients empressés ; ils n’ont jamais voulu admettre que le processus de démondialisation est en cours depuis 2008 ; ils n’ont jamais reconnu les erreurs magistrales qu’ils ont commises sur la Chine.
Faute de comprendre le monde qui se dessine et d’y tracer de nouvelles voies, la bureaucratie bruxelloise agit comme n’importe quelle équipe en déroute. D’abord, maintenir les structures qui assurent le train de vie de ses membres, ce qui n’est pas très difficile. Ensuite, préserver la “compétitivité” des grandes entreprises, sources de relations fructueuses, en sacrifiant l’écologie. Dans le même temps, tenter le sauvetage de l’Otan – mais par quels compromis ? – en attendant l’improbable “communauté européenne de défense”. Enfin, maintenir le libre-échange, en concluant au plus vite le Mercosur et en échafaudant d’autres traités libre-échangistes.
Le sort de l’Union européenne dépendra moins de la volonté des acteurs que des chocs et contre-chocs que les Etats-membres subiront et qu’ils tenteront d’amortir. Certains cèderont à la tentation habituelle de la fuite en avant fédéraliste, sans tenir compte de l’opposition majoritaire des peuples concernés. D’autres choisiront l’échappée solitaire, en prélude au sauve-qui-peut généralisé.
Nous n’avons jamais souhaité les désastres qui s’annoncent. Nous avons proposé une transformation confédérale fondée sur une civilisation commune et poursuivant des objectifs conformes à l’intérêt commun. Nous réaffirmons que “le propre de la puissance est de protéger”, non de s’incliner devant des règles absurdes d’équilibre budgétaire, de libre circulation des capitaux, d’indépendance des Banques centrales. Les coûts énormes impliqués par la transition énergétique et par le réarmement ne seront pas supportés sans une nouvelle politique budgétaire, selon des orientations planifiées. La fin du libre-échange exige une nouvelle politique commerciale. La prédation capitaliste impose la protection des activités nationales. Le rang de la France est à relever, afin que nous puissions participer au mouvement de l’histoire.
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Editorial du numéro 1299 de « Royaliste » – 21 avril 2025
Vraiment, les analyses de "Jean Daspry" sont brillantes et je vous remercie encore Bertrand de nous les faire partager. Cela…
"(...) disproportion entre le pouvoir accordé à un simple trio de juges de grande instance et les conséquences de leurs…
Cher Bertrand, votre article est comme toujours remarquable. mais deux points interpellent le non juriste que je suis dans cette…
Une fois de plus tout à fait d'accord avec l'ensemble de vos propos. On ne plaindra pas ces politiciens professionnels…
Perdre l'Algérie ? Ou la gagner ? Deux fausses perspectives. La réalité consiste plus à faire plus de fermeté à…