« Le ressentiment ne sert de rien dans le malheur » (Sophocle). Cette forme de rancune mêlée de frustration anime souvent les candidats défaits à une élection présidentielle. À en croire les ragots colportés Outre-Atlantique, le ressentiment habiterait le 46ème président des États-Unis, Joe Biden au fur et à mesure qu’approche son départ définitif de la Maison Blanche. Il regretterait d’avoir cédé aux amicales pressions du duo chic et choc Obama/Harris qui lui imposa de ne pas se représenter à la magistrature suprême en 2024. Et de déclarer qu’il n’aurait fait qu’une bouchée de l’homme à la mèche blonde. Faute de pouvoir écrire l’avenir, il brode sur le passé. En allant prononcer, le 13 janvier 2025, au Département d’Etat, devant un parterre de diplomates américains une ode à la gloire de son action extérieure durant les quatre années de son règne dans le bureau ovale[1]. Si ce discours, est flamboyant dans la forme, force est de constater qu’il est lénifiant sur le fond.

Un discours flamboyant

« Plus on pense de façon objective, moins on existe » nous rappelle fort à propos le philosophe danois Soren Kierkegaard ! Manifestement, le président cacochyme est un adapte de l’adage « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Joe Biden n’était-il pas le mieux placé pour procéder à un plaidoyer pro domo du bilan de sa politique étrangère si souvent moquée par ses adversaires mais aussi par certains de ses partisans ? C’est ce qu’il pense et ce qu’il fait dans son homélie aux diplomates américains peu coutumiers d’une telle visite de haut niveau dans les murs du Département d’État situé dans le quartier chic de Froggy Bottom.

Le président sortant ne boude pas son plaisir en déclamant la liste impressionnante de ses succès diplomatiques. Et tout y passe. Là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. C’est bien connu. Rien de plus simple que procéder par pétitions de principe péremptoires censées écarter toute contradiction. Le tableau du monde que dresse Joe Biden est tout à fait saisissant : « Les États-Unis remportent la compétition internationale. Par rapport à il y a quatre ans, l’Amérique est plus forte, nos alliances sont plus fortes. Nous ne sommes pas entrés en guerre pour que ces choses produisent ». Il décrète que « des États autoritaires majeurs » (Chine, Corée du Nord, Iran, Russie) collaborent désormais, preuve de leur faiblesse évidente. Confiant dans on action, Joe Biden assène que « Les Chinois ne nous dépasseront jamais. Point final ». Les alliances des États-Unis tant en Europe (OTAN) que dans la zone Indo-Pacifique (bilatérales ?) sont décrétées « plus fortes que jamais depuis des décennies ». Le 46ème président des États-Unis consacre de longs développements à la guerre en Ukraine. Washington ne peut et ne doit renoncer à soutenir ce pays injustement agressé et cela d’autant plus que Vladimir Poutine n’aurait atteint aucun de ses objectifs. Il déclare : « Lorsque j’ai vu Poutine déclencher son invasion, j’avais deux tâches. L’une : rallier le monde et défendre l’Ukraine. L’autre : empêcher une guerre entre deux puissances nucléaires. Nous avons fait ces deux choses ».

Et de conclure avec lyrisme : « L’Amérique montre la voie non seulement par l’exemple de son pouvoir, mais le pouvoir de son exemple … Elle avait défendu sans relâche la démocratie, les droits civiques et humains parce c’est ce que nous sommes ». Muni d’un tel viatique, son successeur, Donald Trump disposerait de nombreux atouts pour aborder son futur mandat (« très fortes cartes à jouer »). Fermez le ban ! Mais, il existe un fossé entre les fantasmes de Joe Biden sur le monde au XXIe siècle et la réalité de la planète des carnivores.

Un discours lénifiant

« Les grandes défaites sont d’abord intellectuelles » (Marc Bloch). Dans les conditions exposées par Joe Biden dans son oraison funèbre déclamée devant la fine fleur de la diplomatie américaine, on peine à comprendre pourquoi Donald Trump n’aurait fait qu’une bouchée de Kamala Harris, sa vice-présidente. Même avec la meilleure volonté du monde, le moins que l’on puisse dire est que le discours présidentiel est frappé au seau d’un déni certain. À écouter et lire Joe Biden, on peine à comprendre l’effacement/voire la défaite des États-Unis en Ukraine et au Moyen-Orient. Sur le premier dossier, il passe sous silence les atermoiements initiaux de la position américaine sur le volet livraison d’armes à Kiev et le fait que le « Sud Global » s’est tenu à distance respectable de la position occidentale, estimant qu’il s’agissait à l’évidence d’un conflit européen sur lequel il n’avait pas à prendre parti. Sur le second, il ne se livre à aucune auto-critique de sa position ambiguë et fluctuante. Ce dont il aurait été incapable tant la confusion règne dans son esprit embrumé.

Fait significatif, il prend soin de pas aborder le sujet des conditions pitoyables du retrait des troupes américaines d’Afghanistan : précipitation incompréhensible ; improvisation coupable ; impréparation évidente ; absence d’information préalable de ses alliés les plus proches ; traitement dégradant et inhumain réservé aux Afghans ayant collaboré avec les Occidentaux et désireux de quitter le pays … Ce dossier restera comme un point aveugle dans la diplomatie de Joe Biden. Un exercice de contrition, même limité, aurait été le bienvenu pour attester de sa sincérité et de son professionnalisme. Ce ne fut pas le cas. D’une manière plus générale, les décisions prises dans la précipitation au cours des derniers jours de son mandat – nous pensons à l’aide militaire à l’Ukraine – pour mettre son successeur devant le fait accompli ne dénotent pas une hauteur de vue appréciable de la part de ce vieux hiérarque démocrate.

À bien des égards et à y regarder de plus près, la présentation de Joe Biden constitue le miroir d’un homme du passé (il décrit le monde d’hier fondé sur le droit, le multilatéralisme et la coopération) et du passif (il laisse à son successeur plusieurs dossiers importants en déshérence). Un homme fatigué n’ayant pas de vision stratégique de la politique étrangère américaine aux prises aux nombreux défis du XXIe siècle.

La vie en rose

« La vieillesse est un naufrage ». Tout le monde connaît cette célèbre répartie du général de Gaulle évoquant le maréchal Philippe Pétain dans ses Mémoires de guerre, ouvrage publié en 1954. Ce constat pourrait aisément être transposé au cas de Joe Biden dont la fin du mandat fut pathétique tant sur le plan intérieur qu’extérieur.  De deux choses l’une. Soit le président est aveugle et sourd et n’a rien compris aux relations internationales, soit il ment effrontément pour se donner bonne conscience. Dans les deux hypothèses, cette présentation pose problème pour le chef de l’État de la première puissance au monde. En politique, et en tout cas du côté du pouvoir démocrate américain sur le déclin, l’heure est à la communication permanente, y compris la plus débridée et la plus mensongère. C’est ainsi que nous devons comprendre la leçon de diplomatie de Joe Biden aux diplomates américains !

Jean DASPRY

Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

[1] Piotr Smolar, Joe Biden loue sa politique étrangère dans un bilan non dénué de déni, Le Monde, 15 janvier 2025, p. 3.