A une forte majorité, les députés se sont opposés au projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Les sénateurs ont voté dans le même sens, à l’unanimité moins une voix. C’est une bonne nouvelle. Elle laisse cependant planer de lourdes ambiguïtés et n’annonce pas la mise en échec de l’accord.

Nous ne sommes pas les seuls à remarquer le lourd parfum d’hypocrisie qui flotte sur les députés macroniens. Ils ont certes voté le 26 novembre en faveur de la déclaration gouvernementale d’opposition au Mercosur. Pourtant, le 23 juillet 2019, ils avaient fait passer, contre les opposants de droite et de gauche, le texte sur l’accord de libre-échange avec le Canada (CETA). Il va presque sans dire que les convictions libre-échangistes régulièrement exprimées par Yaël Braun-Pivet, Aurore Bergé et de nombreux parlementaires ont été mises entre parenthèses par peur de la révolte paysanne qui anime nos rues et nos routes.

Le gouvernement n’est pas blanc-bleu dans cette affaire. Le Premier ministre a certes pris l’initiative du texte d’opposition à l’accord et souhaité qu’il soit débattu à l’Assemblée nationale, mais comment se fait-il que le texte publié sur le site du ministère des Affaires étrangères soit toujours favorable au Mercosur ?

Il est vrai que l’Elysée et Matignon répètent depuis des semaines que l’accord n’est pas acceptable “en l’état” et que la France s’efforce de réunir une minorité de blocage. Mais pourquoi les autorités se mobilisent-elles seulement dans l’ultime phase de négociations qui se sont poursuivies pendant 25 ans ? Les réserves exprimées par Emmanuel Macron depuis 2019 ne remettaient pas en question le Mercosur, si l’on en croit les déclarations alambiquées de Stéphane Séjourné, alors ministre des Affaires étrangères, devant le Sénat le 16 janvier dernier. Une fois de plus, nous assistons à un exercice d’improvisation polyphonique, mais celui-ci est lourd de dangers pour Emmanuel Macron comme pour toute gouvernance oligarchique.

Les arguments contre le Mercosur sont connus et justifiés. La concurrence déloyale des produits sud-américains, en raison des différences de normes, sera violemment ressentie par les éleveurs de bovins et dans l’aviculture. Dégâts sanitaires (en raison de l’utilisation de produits interdits dans l’Union européenne), menaces sur les sucreries françaises et risque de déforestation massive au Brésil : les conséquences funestes sont nombreuses mais la Commission persiste à négocier sous la pression explicite de onze pays, dont l’Allemagne qui veut exporter ses automobiles. Également favorable à l’accord, le patronat français mobilise ses réseaux d’influence dans les médias et il serait étonnant qu’il ne fasse pas pression sur le gouvernement.

Confrontés à l’inertie passée de la classe dirigeante et à leurs propres atermoiements, pris au piège de leur dogmatique néolibérale, Emmanuel Macron et Michel Barnier tentent de calmer les paysans mobilisés par la Coordination rurale et la Confédération paysanne – mais sans engager une épreuve de force avec la Commission européenne. Pourtant, les motifs ne manquent pas.

Bruxelles ne se contente pas de négocier les traités de libre-échange dans l’opacité, au mépris des Parlements nationaux. Nous nous souvenons que le CETA est en application provisoire depuis 2017 alors que le traité n’est toujours pas ratifié. Emmanuel Macron a laissé faire. Et pourquoi ne s’est-il pas opposé à la décision qui consiste à scinder les traités en deux parties – l’une politique et l’autre commerciale – pour contourner le droit de veto des Etats et leur examen par les Parlements nationaux ? Dans le cas du Mercosur, l’accord actuellement discuté se ferait sur le volet commercial, ce qui permettrait un vote à la majorité qualifiée, soit quinze États représentant au moins 35% de la population de l’Union. Pourquoi Emmanuel Macron ne s’est-il pas opposé à cette manœuvre antidémocratique ? Pourquoi se contente-t-il de rechercher une minorité de blocage qui nécessite la réunion de quatre Etats représentants 35% de la population ? En cas d’échec, le Jupiter déchu affirmera qu’il a tout tenté et qu’il faut s’incliner, alors qu’il s’est contenté de finasser.

Occupés à se tirer d’un mauvais pas, l’Elysée et Matignon ne voient pas qu’ils mènent un combat d’arrière-garde. Comme l’hiver dernier, les paysans mobilisés par la Coordination rurale et la Confédération paysanne ne s’opposent pas seulement au Mercosur. Ils veulent en finir avec le libre-échange qui dévaste tout à la fois notre agriculture et notre industrie. Les révoltés bénéficient d’un soutien populaire massif et de la sollicitude intéressée des oppositions de droite et de gauche. L’abandon du libre-échange suppose une refonte de l’Union européenne, donc l’ouverture d’une crise avec Bruxelles et Francfort, assortie de la mise en œuvre immédiate de tarifs protecteurs de l’activité nationale pour montrer que la France a cessé de finasser. Les partis d’opposition sont-ils décidés à un protectionnisme salutaire, dont les principes et les modalités ont été maintes fois explicités ? Nous nous efforçons de l’espérer.

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Editorial du numéro 1289 de « Royaliste » – 1er décembre 2024.